Résumé : De 1987 à 1997, le transport aérien intra-européen a connu un bouleversement institutionnel sans précé-dent avec sa libéralisation, c’est-à-dire le passage d’un environnement très régulé et contraint par les États à un environnement libéral. Au terme de ce processus, toute compagnie communautaire peut opérer n’importe quel vol intra-communautaire et les aides d’État sont interdites, obligeant les compagnies à être financière-ment rentables. La liberté d’accès au marché et l’impératif de rentabilité sont de nature à faire évoluer la géographie des réseaux et donc la desserte des ré-gions européennes par le biais de différentes dynami-ques (développement ou rationalisation des compagnies préexistantes, émergence de nouvelles compagnies, faillites, réorganisation des services publics,…).

La libéralisation du ciel européen a effectivement conduit à soumettre l’essentiel de l’offre intra-européenne aux « lois du marché », les services publics étant devenus résiduels (moins de 5% des sièges intra-européens). Pour autant, la concurrence à l’échelle des lignes n’est pas devenue la norme. Elle a certes aug-menté, en particulier sur des grandes lignes domesti-ques jadis très protégées, sur les principales lignes européennes entre régions métropolitaines et sur les lignes nord – sud à vocation touristique. Cependant, le développement de nombreuses nouvelles lignes exploi-tées par une seule compagnie a paradoxalement aug-menté le nombre et la part des monopoles de fait. De nombreuses concurrences n’ont lieu qu’indirectement, soit au travers de filiales étrangères (par exemple Spa-nair appartenant à SAS), soit par des compagnies low-cost opérant depuis des aéroports secondaires plus éloignés des grandes agglomérations européennes (par exemple Hahn au lieu de Francfort).

Entre 1991 et 2005, la desserte de l’espace européen libéralisé connaît d’importantes évolutions. D’une part, le volume de l’offre (en sièges) est presque multiplié par deux (+85%, +81% si l’on se limite aux vols intra-européens), soit un taux de croissance annuel moyen de 5,6%. Cette croissance concerne plus l’offre interna-tionale que nationale, qui l’emporte maintenant sur la seconde. D’autre part, la dynamique d’ouverture et de fermeture de lignes est spectaculaire : 1308 créations contre 459 disparitions, si bien que le nombre total de lignes a augmenté de moitié et que le réseau européen actuel est un réseau pour moitié renouvelé par rapport à celui de 1991. Cependant, le poids en sièges des lignes héritées est de 8/10. Le réseau européen actuel est donc quantitativement toujours dominé par les relations historiques, qui constituent l’armature de la desserte aérienne européenne.

Les espaces touristiques balnéaires méridionaux ont capté une grande partie de cette croissance (3/10 des nouvelles liaisons, ¼ de l’augmentation générale du nombre de sièges). Si l’on y ajoute le tourisme urbain, on observe très clairement une banalisation du tou-risme aérien.

Une typologie évolutive des réseaux à l’échelle des compagnies a révélé des stratégies différenciées et donc des impacts variés en termes de desserte des territoires. Les grandes compagnies nationales ont généralement fortement développé leur offre tout en la concentrant plus encore sur leurs bases aéroportuaires traditionnelles organisées en hubs. Parfois, un second hub a dû être créé pour contourner des problèmes de saturation (Munich en plus de Francfort) ou mieux coller à la demande (Milan en plus de Rome). Les compagnies classiques ont aussi pris des participations dans des petites compagnies afin de pénétrer plus facilement, et à moindre coût, des marchés étrangers. Ces filiales — et leurs réseaux — ont parfois été converties en opéra-teurs régionaux alimentant les grands hubs. Par ail-leurs, diverses petites compagnies ont pu se développer à l’échelle européenne, sortant souvent de leur cadre national classique. Ces développements se sont tantôt faits au bénéfice des villes « de province » (en particu-lier en Grande-Bretagne), tantôt par concentration sur la capitale (en particulier dans les pays où les villes de province ont peu de poids économique et démographi-que). Enfin, des compagnies charters ont transformé leur offre en offre régulière, la rendant plus ouverte au public, au profit des zones touristiques méridionales qui sont ainsi plus facilement accessibles.

Mais la plus spectaculaire évolution est sans doute le développement des compagnies low-cost. Celles-ci sont responsables de 4/10 de la croissance de l’offre (en sièges) sur la période 1995-2004 ; elles sont aussi mêlées à 3/10 des nouvelles lignes européennes ouver-tes entre 1991 et 2005. Leurs réseaux renforcent les liaisons entre régions métropolitaines et entre celles-ci et les destinations touristiques. En outre, les régions subcentrales leur doivent la moitié de leur desserte et presque toute leur croissance. De nombreux petits aéroports leur doivent l’essentiel, voire la totalité, de leur desserte et de leur croissance, en particulier dans les régions subcentrales et intermédiaires. Ceci a consi-dérablement modifié les rapports entre compagnies et gestionnaires d’aéroports, plaçant ces derniers dans un rapport de forces qui ne leur est pas toujours favorable.

Ces dynamiques viendraient presque faire oublier les décroissances. D’une part, des faillites ont parfois eu un effet négatif marqué sur la desserte des villes, comme nous l’avons en particulier montré pour Bruxelles avec la faillite de la Sabena. D’autre part, les services publics subventionnés semblent être en régression, bien que l’analyse détaillée du cas français montre que la géo-graphie des services publics antérieurs à la libéralisation découlait parfois plus d’exigences politiques locales que de besoins réels.

A l’échelle régionale, l’analyse des évolutions par types économiques régionaux montre qu’au-delà de taux de croissance très variés et malgré toutes les dynamiques étudiées, la répartition de l’offre est demeurée assez constante : il n’y a pas de remise en cause de la hiérar-chisation de l’espace européen. Les régions métropoli-taines continuent en effet à polariser une très grande partie de l’offre et sont toujours les points de passage quasi-obligés pour les vols intercontinentaux. Un niveau en dessous, les régions centrales disposent toujours d’une offe honorable, quoique limitée à l’Europe et ses marges. Les régions subcentrales profitent d’une « décompression » des régions métropolitaines et cen-trales et de la dynamique low-cost. Les capitales des pays ex-communistes connaissent un rattrapage et sont repolarisées par l’Europe occidentale. Les périphéries touristiques connaissent un important développement mais pèsent peu globalement. Les autres périphéries et les espaces intermédiaires tendent à se marginaliser, victimes de trop faibles densités économiques et démo-graphiques et d’une contraction des services publics aériens.

Enfin, si le développement de lignes transversales entre petites villes est une réalité, leur poids est avant tout local. Celles-ci pèsent en effet peu globalement.