Résumé : Contexte: L’importance écologique des fourmis dans les écosystèmes terrestres justifie qu’elles soient considérées comme groupe cible pour des actions de conservation. De plus, de par leur abondance, leur facilité de récolte et leur réponse à des perturbations, elles présentent un potentiel intéressant comme groupe indicateur précoce de l’état de santé des écosystèmes. Par contre, pour le choix d’aires à protéger, leur utilité comme intégrateur des conditions de milieu par rapport à des indicateurs classiques tels que les assemblages de plantes n’est pas clairement établie. En d’autres termes, répondent-elles plus finement que les plantes à différentes conditions de milieu et dans ce cas doit-on s’attendre à trouver au sein de formations végétales comparables plusieurs types d’assemblages de foumis? Si tel est le cas, la méthode utilisant les assemblages de végétaux pour sélectionner les sites à protéger peut ne pas permettre une conservation efficace de la diversité des fourmis. Ce type de problématique s’aborde bien le long de gradients environnementaux. Pour faciliter l’interprétation des résultats en terme de réponse aux facteurs abiotiques il est préférable de limiter le nombre de facteurs qui varient en même temps. Dans ce sens, le Chaco sec paraguayen représente un système très favorable: faible déclivité, faibles variations de températures moyennes mais gamme très étendue de conditions de pluviométrie (350mm à 1000mm de précipitations moyennes annuelles) et des sols variables (texture limoneuse à sableuse). L’aridité est l’un des principaux facteurs pouvant limiter la diversité des fourmis soit directement en exerçant un stress physiologique sur les espèces, soit indirectement en limitant la productivité primaire de l’habitat. Les conditions édaphiques peuvent également avoir une influence en affectant par exemple la survie des colonies qui nidifient dans le sol.

Objectifs: Les principaux buts de la thèse sont (1) de déterminer l’influence de l’aridité et des conditions édaphiques sur la distribution et la structure des assemblages de fourmis terricoles du sol en forêts tropicales sèches, (2) mettre en évidence les mécanismes qui facilitent la coexistence des espèces de fourmis à l’échelle locale, (3) déterminer si à l’échelle régionale les fourmis et les plantes répondent de façon similaire aux conditions du milieu.

Méthode: Onze localités ont été échantillonnées le long d’un transect régional long de 400km. Au niveau de chaque localité, trois transects élémentaires longs de 200m et séparés les uns des autres par 200m ont été effectués. La myrmécofaune a été échantillonnée à l’aide de 20 pièges à fosse et de 20 Winkler par transect élémentaire. La végétation de chaque site a été caractérisée sur base de l’abondance de 45 espèces d’arbres ou d’arbustes caractéristiques de la flore chaquéenne. Les propriétés physico-chimiques du sol ont également été mesurées. A fine échelle, l’organisation spatio-temporelle d’un assemblage a été étudié dans une localité de référence.

Résultats: Au total, plus de 50.000 spécimens correspondant à 206 espèces de fourmis ont été collectés avec en moyenne (± SD) 62 ± 10 espèces par localité. Pour un même effort d’échantillonnage, le nombre d’espèces de fourmis récoltées à l’aide des pièges à fosse augmente avec l’aridité et une tendance inverse est observée pour les Winkler. Puisque les Winkler peuvent entraîner une sévère sous-estimation de la diversité des fourmis d’un habitat, seules les données des pièges à fosse sont utilisées pour la suite des analyses. La diversité locale  des assemblages de fourmis n’apparaît corrélée ni à l’aridité, ni aux conditions édaphiques. En revanche, ces facteurs, et spécialement la texture du sol, influencent la composition des assemblages. Trois complexes myrmécofauniques sont mis en évidence: le premier dans la localité la plus sèche (350mm) et la plus sableuse (>90% de sable dans la fraction minérale du sol), le second dans la localité la plus humide (1000mm, sol argilo-limoneux) et le dernier dans des localités présentant de larges conditions de pluviométrie (350-850mm) et de sol (limoneux à sablo-limoneux). Les plantes répondent encore plus finement à ces facteurs abiotiques. A l’échelle locale, l’établissement d’une ségrégation spatio-temporelle fine des espèces de fourmis lors de l’exploitation des ressources alimentaires facilite la coexistence interspécifique. Cette ségrégation est engendrée par l’existence de deux compromis: l’un entre les capacités des espèces à dominer et à découvrir les ressources et l’autre entre la capacité de dominance et la tolérance aux températures élevées.

Conclusions: Nos résultats contredisent l’hypothèse selon laquelle les fourmis répondent plus finement que les plantes aux conditions du milieu. A l’échelle du gradient étudié, une augmentation de l’aridité n’affecte pas la diversité des fourmis. La productivité de l’habitat ne semble pas déterminer la richesse des assemblages et la tolérance à l’aridité semble répandue au sein des Formicidae. La texture du sol apparaît être le facteur le plus déterminant des distributions spatiales observées. Dans le Chaco sec paraguayen, une sélection des sites à protéger sur base des assemblages végétaux est susceptible de maximiser la conservation de la diversité biologique des fourmis. Notre étude de la distribution de la myrmécofaune, basée sur la plus large gamme de pluviométrie envisagée à ce jour, pourra constituer le point de départ d'un suivi des assemblages de fourmis dominantes du Chaco sec paraguayen dans le but d'investiguer l'impact des changements climatiques globaux sur ces organismes.