Résumé : Les laves provenant de l’arc des Petites Antilles sont caractérisées par une grande variabilité chimique et leurs compositions isotopiques suggèrent une contribution variable de matériel crustal ancien dans leur genèse. L’arc des Petites Antilles est également caractérisé par une zonation chimique nord-sud, les laves des îles du sud présentant généralement des signatures isotopiques crustales plus fortes que celles des îles du nord. Nous avons tenté dans cette étude d’établir s’il existe des variations de la composition chimique des sédiments entrant en subduction le long de l’arc, et si d’éventuels changements de leur composition peuvent expliquer les variations chimiques observées au sein des laves. Pour ce faire, nous avons réalisé une étude géochimique approfondie (majeurs, traces, isotopes du Sr, du Nd, de l’Hf et du Pb) du flux sédimentaire potentiellement entrant dans la zone de subduction à différentes latitudes. L’échantillonnage comprend des sédiments forés au niveau des sites 543 (nord de l’arc) et 144 (extrême sud de l’arc) lors des campagnes DSDP 78A et 14 respectivement, et des sédiments provenant de l’île de la Barbade (sud de l’arc).

Les échantillons présentent une grande hétérogénéité lithologique correspondant globalement à un mélange en proportion variable entre une composante détritique et une composante biogénique (siliceuse ou carbonatée). De plus, au niveau du site 144, des niveaux très riches en matière organique (black shales) datant du Cénomanien supérieur au Santonien (~ 95 à 84 Ma) ont été forés. Ces formations correspondent à l’enregistrement des Oceanic Anoxic Events 2 et 3. Nous avons montré que la « dilution » variable de la fraction détritique par la composante biogénique est le facteur qui contrôle largement les variations de concentrations en éléments traces observées. De plus, nous avons révélé un enrichissement en U extrêmement important au sein des black shales du site 144. Les signatures isotopiques de l’Hf, du Nd et du Pb sont dominées par la composante détritique, alors que celle du Sr, dans le cas d’échantillons riches en carbonates est dominée par celle de l’eau de mer. Les sédiments des trois sites présentent des compositions isotopiques du Pb fortement radiogéniques par rapports aux sédiments océaniques « classiques », que nous avons associées à une forte contribution de matériel issu de l’altération des cratons guyanais et brésilien dans la composante détritique. De plus, la décroissance radioactive de l’U dans les black shales du site 144 a généré des rapports 206-207Pb/204Pb extrêmement radiogéniques.

Un mélange entre le manteau appauvri et les sédiments du site 543 reproduit les compositions isotopiques des laves de la partie nord de l’arc. Pour la partie sud de l’arc un mélange entre les sédiments les plus radiogéniques en Pb du site 144 et le manteau appauvri explique les compositions des laves des îles de la Martinique à Grenade. Une contribution croissante des black shales du nord vers le sud est nécessaire, et est de plus en accord avec l’augmentation du nord vers le sud de l’âge du plancher océanique subduit. Enfin, quelques sédiments de l’île de la Barbade présentent certaines caractéristiques compatibles avec leur implication dans la genèse des laves de la partie sud de l’arc.