Résumé : Sepsis et défaillances viscérales; aspects diagnostiques et thérapeutiques

Le sepsis est un problème fréquemment rencontré en unité de soins intensifs (USIs) avec une morbidité et une mortalité élevées. Comprendre les mécanismes physiopathologiques du sepsis est essentiel à la fois pour mieux déterminer les bénéfices et/ou les effets indésirables des thérapies déjà en cours et développer de nouvelles statégies thérapeutiques. Des études épidémiologiques offrent une vue d´ensemble sur l´importance de la mobidité et la mortalité liées au sepsis et permettent d’apporter un élément de réponse aux questions essentielles concernant le sepsis et son traitement à l’USI, ce qui permet de réaliser les fondements de nouvelles études contrôlées randomisées à venir.

Ces dernières années, un certain nombre d´études ont été publiées concernant les données épidémiologiques sur la fréquence de survenue, les facteurs associés et le coût engendré par la prise en charge des patients atteints de sepsis. Cependant, vu la dynamique du sepsis qui est un syndrome multifactoriel et complexe, une mise à jour régulière de nos connaissances sur le diagnostic, la prise en charge et le pronostic du sepsis est d’importance capitale.

L´étude SOAP, une étude de cohorte, multicentrique d´observation a été réalisée pour mieux définir l´incidence du sepsis et les caractéristiques des patients hospitalisés en USI en Europe. Chez tous les patients admis entre le 1er et le 15 mai 2002 dans 198 USI dans 24 pays d´Europe, les données épidémiologiques, cliniques et biologiques et les maladies chroniques sous-jacentes ont été relevées de façon prospective. Les patients ont été suivis jusqu´à leur décès ou leur sortie de l´USI pendant une durée de 60 jours.

Sur 3147 adultes, avec un age moyen de 64 an, 1177 (soit 37.4%) avaient un sepsis; parmi eux 777 (soit24.7%) avaient un sepsis à l´admission. L´origine du sepsis était le plus souvent pulmonaire (68%) et abdominale dans 22%. Une preuve bactériologique a été mise en évidence dans 60% des cas. Les germes rencontrés étaient un staphyloccoque doré (30%, dont 14% méthicilline-résistant), Pseudomonas sp.(14%), Escherischia coli (13%). Par analyse multivariée, Pseudomonas sp. était le seul germe associé à une mortalité plus élevé. Les patients septiques avaient des défaillances viscérales plus graves, un séjour hospitalier et en USI plus long et une mortalité plus élevé que les patients sans sepsis. Chez les patients septiques l´âge, un état de choc, un cancer, un bilan hydrique positif et une admission médicale (plutôt que chirurgicale) étaient les facteurs pronostiques corrélés à une mortalité plus élevée. Il y avait des variations considérables selon les pays, avec une corrélation importante entre la fréquence du sepsis et les taux de mortalité en USI dans chaque pays.

Des publications récentes ont suggéré que les conditions de ventilation mécanique pouvaient influencer le devenir des patients présentant un ALI et un ARDS. Nous avons étudié si l´utilisation de volumes courants plus élevés en cas d´infection/sepsis que ceux utilisés dans l´étude ARDSnet (> 7,4ml/kg) avait des conséquences péjoratives (en terme de mortalité) chez les patients présentant un ALI/ARDS.

Sur les 3147 patients inclus dans l´étude SOAP, 393 (soit 12,5%) avaient les critères d’ALI/ARDS. Le taux de mortalité en USI et la mortalité hospitalière étaient plus élevés chez ces patients (respectivement 39 contre 16% et 46 contre 21 %, p < 0,001). Un analyse multivariée en régression logistique prenant le devenir en USI comme facteur déterminant a montré que les facteurs pronostiques indépendants étaient: l´existence d´un cancer, l´utilisation de volumes courant plus élevés que ceux utilisés dans l´étude ARDSnet, le degré de défaillance multiviscérale et un bilan hydrique positif. Le sepsis, le choc septique et la saturation d´O2 au début de l´ALI/ARDS n´avaient pas de valeur pronostique.

Chez les patients en USI, l´utilité d´un monitorage par cathéter artériel pulmonaire (PAC) est discutable. Nous avons étudié les aspects épidémiologiques de l´utilisation du monitorage artériel pulmonaire dans les USI en Europe et leur impact en terme de mortalité. Les patients sous PAC (n: 481, 15,3%) étaient plus âgés, plus souvent atteints d´une cardiopathie, moins souvent d´un cancer et en majorité des patients “chirurgicaux”. La mortalité en USI et hospitalière étaient plus importante chez les patients monitorés (respectivement 28,1 contre 16,8 et 32,5 contre 22,5%, p<0,001). Cependant le monitorage artériel pulmonaire n´était pas un facteur de risque indépendant pour la durée de séjour de 60 jours en analyse multivariée. De plus, et chez 453 malades pairés (“propensity matched-pairs”), les taux de mortalité en USI et hospitalière étaient similaires (27 contre 26 and 31 contre 33 %, p:NS). La survie à 60 jours était également similaire dans les 2 groupes appairés (Log Rank: 0,02, p = 0,89). Cette étude suggère que le monitorage artériel pulmonaire n´est pas corrélé à une mortalité supplémentaire dans cette population hétérogène.

La drogue vasoactive “idéale” à administrer en cas de choc est également controversée. Nous avons étudié l´influence de l´administration de dopamine sur l’état de choc. Sur 3147 patients, 1058 (soit 34%) avaient un état de choc tout le long de la période d´étude; 462 (soit 15%) avaient un choc septique. Le taux de mortalité en USI par état de choc était de 38 % et de 47 % en cas de choc septique. Parmi les patients en état de choc, 375 (soit 35 %) recevaient de la dopamine (groupe dopamine) et 683 (soit 65 %) n´en recevaient pas. L´âge, le sexe, les scores de sévérité (SAPS II et SOFA) était comparables dans les 2 groupes. Le groupe dopamine avait un une mortalité en USI et hospitalière plus élevée (respectivement 43 contre 36%, p:0,02 et 50 contre 42%, p = 0,01). L´étude des courbes de survie Kaplan-Meier a montré une survie à 30 jours diminuée dans le groupe dopamine (log Rank: 4,6; p: 0,032). Dans une étude multivariée prenant le taux de mortalité en USI comme facteur indépendant, l´âge, un cancer, les patients admis pour raison médicale (non-chirurgicale), le score SOFA moyen plus élevé, un bilan hydrique positif et l´administration de dopamine étaient des facteurs pronostiques indépendants. Cette étude suggère que l´administration de dopamine est associée à une augmentation de la mortalité en cas de choc. Afin de confirmer cette hypothèse, une étude prospective comparant la dopamine à la noradrénaline dans la prise en charge de l´état de choc a été lancée.

Nous avons également étudié l´administration des solutions d´albumine dans les USI en Europe et son influence en terme de mortalité : 350 patients (soit 11,2%) ont reçu de l´albumine et 2793 patients (soit 89 %) n´en ont pas reçu. Les patients du groupe albumine étaient plus souvent cirrhotiques, atteints de cancer, “chirurgicaux” ou de sepsis. Ces patients avaient un séjour en USI et un taux de mortalité plus élevé, mais étaient également plus sévèrement malades comme en témoignent des scores SAPS II et SOFA plus élevés. Un modele de Cox (risque proportional) a montré que l´administration d´albumine était significativement corrélée avec une moindre survie à 30 jours. La mortalité en USI et hospitalière était plus élevée chez les patients du groupe albumine que chez ceux n´en ayant pas reçu (respectivement 35 contre 21% et 41 contre 28%, p<0,001). Nous en avons conclu que l´administration d´albumine était associée avec une moindre survie chez ces patients gravement malades. Des études prospectives randomisées et contrôlées sont nécessaires pour étudier les effets de l´administration d´albumine sur la survie de ces patients pris en charge en USI.

Finalement, nous avons étudié les effets de l´administration de solutions d’hydroxyethylamidon (HES) sur la fonction rénale chez les patients inclus dans l´étude SOAP. Les patients ayant reçu une solution de HES (n: 1075, soit 34%) étaient plus âgés (moyenne+/- DS: 62+/- 18 ans, p: 0,022), avaient en majorité des affections chirurgicales ou hématologiques, une défaillance cardiaque, un score SAPS II ou SOFA plus élevé et étaient moins susceptible de recevoir un support rénal extracorporel (2 contre 4%, p<0,001) que ceux n´ayant pas reçu de solution de HES. Le score SOFA rénal était significativement plus élevé au cours du séjour en USI indépendamment du liquide de remplissage utilisé. Cependant, dans le groupe HES plus de patients avaient besoin de support rénal extracorporel que dans le groupe “non-HES” (11 contre 9%, p: 0,006). Toutefois, en analyse multivariée, l´administration de HES n´était pas associée à un besoin plus élevé de support rénal extracorporel. Le sepsis, la défaillance cardio-vasculaire, une hémopathie maligne et un score SOFA rénal de base > 1 étaient tous associés à un besoin plus élevé de RRT.

Les altérations microcirculatoires sont fréquentes chez les patients septiques. Les sont directement liées à la sévérité du sepsis et plus marquées chez les patients qui sont décédés que chez ceux qui ont survécu, sans toutefois être corrélées à l´état hémodynamique ou aux besoins en agents vasoactifs. Ces obnservations ont été faites au début de la maladie si bien que leur évolution dans le temps n´a pas bien pu être caractérisée. L´OPS est une nouvelle technqiue, qui permet d´étudier la microcirculation des tissus recouverts d´un fin épithélium, comme les muqueuses. Cette technique a été validée pour l´étude de la microcirculation chez l´homme et l´animal.

Pour préciser l´évolution de l´altération de la microcirculation et son pronostic en terme de morbidité et de mortalité chez les patients présentant un choc septique, nous avons étudié chez 49 patients en choc septique, l’évolution des altérations microcirculatoires (par OPS) du jour du début de l´état de choc et de façon quotidienne les jours suivants jusqu´à résolution complète du choc ou le décès. Au début de l´état de choc, les survivants et les non survivants avaient la même densité de capillaire et le même pourcentage de capillaire perméable au niveau du tissu étudié. La microcirculation était préservée chez les survivants, mais pas chez les patients décédés. Malgré un statut hémodynamique et des besoins en drogues vasoactives similaires ainsi qu´à des taux de saturation en oxygène comparable, les patients décédés des suites du choc septique dans un tableau de défaillance multiviscérale avaient un pourcentage de capillaires perfusés significativement inférieur aux patients ayant survécu. Nous en avons conclu que les altérations de la microcirculation s´améliorent rapidement en cas d’évolution favorable, mais au contraire progressent en cas de défaillance multiviscérale.

Pour étudier les effets de la transfusion de concentrés érythrocytaires sur la microcirculation au cours du sepsis, nous avons évalué la microcirculation de la muqueuse sublinguale à l´aide de l´OPS chez 35 patients avant et après la transfusion de 1 à 2 unités de concentrés érythrocytaires. Cinq séquences de 20 secondes chacune ont été enregistrées et analysées par une méthode semi- quantitative. La transfusion de concentrés érythrocytaires a augmenté le taux d´hémoglobine, la pression artérielle et le transport en oxygène. La microcirculation ne s´est pas significativement altérée mais des variations individuelles considérables ont été relevées. Les modifications de la perfusion capillaire après transfusion ont été significativement corrélées avec le degré inital de perfusion capillaire. La perfusion capillaire de base était significativement inférieure chez les patients qui ont augmenté leur perfusion capillaire de plus de 5% par rapport à ceux ne l´ayant pas augmenté, et cela à conditions hémodynamiques et de transport d´oxygène similaire dans les 2 groupes. Ces résultats montrent que la microcirculation muqueuse sublinguale n´est pas altérée par l´apport de concentrés érythrocytaires en cas de sepsis. Cependant, la perfusion capillaire de base peu augmenter en cas d´altération préexistante.

Et finalement, pour évaluer les effets de la dobutamine sur la microcirculation chez les patients septiques, nous avons étudié 10 malades sous dobutamine (administrée à la dose de 5 mcg/kg.min) pendant 2 heures suivies par l´application de 10 - 2 M d´acéthylcholine sur la muqueuse sublinguale. Un monitorage hémodynamique complet avant et après l´administration de dobutamine a été réalisé. Les enregistrements ont été obtenus grâce à l´OPS avant et après l´administration de dobutamine et d´acétylcholine. La dobutamine augmente significativement la perfusion capillaire et ce avec de larges variations individuelles, alors que la densité capillaire est restée constante. L´adjonction topique d´acéthylcholine restitue entièrement la perfusion et la densité capillaire. Les modifications de la perfusion capillaire n´ont pas été en rapport avec les fluctuations de la pression artérielle et de l´index cardiaque. La baisse de la lactacidémie était proportionnelle à l´augmentation de la perfusion capillaire, et sans corrélation avec les modifications de l´index cardiaque. Nous en avons conclu que l´administration de 5 mcg/kg.min de dobutamine en cas de choc septique peut augmenter la perfusion capillaire sans toutefois la restaurer. Ces modifications sont indépendantes des fluctuations de l´hémodynamique systémique.