Résumé : Un naevus congénital mélanocytique (CMN) est une prolifération bénigne de mélanocytes cutanés, cliniquement apparente à la naissance. On en retrouve chez approximativement 1% des nouveau-nés. Les CMN de taille large (LCMN), définis par un diamètre le plus large de plus de 20 cm, affectent environ 1 nouveau-né sur 20.000.

Puisque les LCMN ont une propension à dégénérer en tumeur mélanomateuse (dans 2 à 5% des cas) et que leur grande taille apporte un contingent cellulaire abondant, ils représentent un bon modèle d’étude des étapes initiales de la mélanotumorigénèse. Nous disposions précisément de cultures primaires de mélanocytes établies à partir de vingt-sept cas de naevi congénitaux (24 de taille large et 3 de taille moyenne (MCMN)) curetés pour la plupart chez des enfants en période néonatale.

La première phase de ce projet a permis d’identifier un mécanisme alternatif d’activation de l’oncogène BRAF dans deux cas de LCMN. Nous avons en effet mis en évidence dans ces deux cas de LCMN une translocation chromosomique entrainant une activation constitutive de BRAF par le biais d’une perte de son domaine auto-inhibiteur. Si des mutations activatrices de BRAF sont fréquemment rencontrées dans les tumeurs mélanocytiques, elles restent rares dans les naevi congénitaux et les mélanomes survenant dans des zones non exposées au soleil. Les translocations chromosomiques décrites ici pourraient représenter un mécanisme moléculaire récurrent d’activation de l’oncogène BRAF dans ces groupes de tumeurs mélanocytiques.

La seconde phase du projet consistait à réaliser sur notre série de 27 L/MCMN des analyses caryotypiques, des analyses « mutationnelles » (pour rechercher la présence de mutations activatrices des oncogènes BRAF et NRAS) et des études d’expression différentielle.

A l’inverse de ce que l’on observe dans le mélanome malin, les anomalies chromosomiques sont rares et isolées, reflétant très probablement le caractère bénin de ces lésions.

La mutation BRAFV600E a été mise en évidence pour 4/27 CMN (15%), des mutations du gène NRAS pour 19/27 (70%), soit une situation en miroir de ce que l’on observe dans les CMN de petite taille (SCMN) et dans les naevi acquis bénins, confirmant les résultats obtenus par d’autres.

L’étude du profil d’expression transcriptionnelle révèle des dysrégulations communes à l’ensemble des échantillons naeviques, comme une franche augmentation d’expression du transcrit de l’Ostéopontine.

Le profil d’expression des échantillons de CMN BRAFV600E semble refléter une réduction de la synthèse et de la distribution de pigment et une activation de gènes impliqués dans la réponse cellulaire aux dommages à l’ADN. Comme des altérations des mécanismes de la pigmentation peuvent générer des dommages oxydatifs au niveau de l’ADN, l’activation de la réponse cellulaire aux dommages à l’ADN pourrait refléter la capacité des cellules naeviques à se protéger contre le stress cellulaire. Enfin, on observait aussi une expression élevée de gènes médiant la chimiorésistance dans différents cancers, ce qui pourrait éventuellement jouer un rôle dans l’inefficacité caractéristique et bien connue de la chimiothérapie dans le mélanome malin.