Résumé : Les tiques du genre Ixodes englobent un grand nombre d’espèces dont Ixodes ricinus, objet de cette étude. Ixodes ricinus peuple les sous-bois de nos régions et la plupart des grandes forêts de l’Europe centrale et de l’est. Au cours de leur cycle parasitaire, les tiques réalisent un repas sanguin au détriment de petits mammifères (mulots, lièvres,…), mais aussi de grands mammifères tels que le cerf, la biche ou le sanglier. Elles deviennent particulièrement voraces au début du printemps et en automne, c’est pourquoi à ces époques de l’année, les promeneurs et les animaux domestiques (principalement, le chien) peuvent en être infestés. Pour mener à bien leur repas sanguin, les tiques mettent en place une série de mécanismes les rendant non seulement indécelables par l’animal parasité mais aussi leur donnant la capacité de contrecarrer les défenses de l’hôte. En effet, lors de sa fixation et durant tout le repas sanguin, la tique injecte un cocktail de facteurs bioactifs qui inhibent la sensation de douleur au moment de l’ancrage dans le derme, mais également les défenses immunitaires de l’hôte parasité. De plus, certains de ces facteurs possèdent des propriétés anti-hémostatiques garantissant la fluidité du sang pendant tout le repas.

Le Service de Biologie Moléculaire des Ectoparasites (anciennement Service de Génétique Appliquée) a identifié un grand nombre de séquences d’ARNm induites spécifiquement dans les glandes salivaires de la tique au cours de son repas sanguin. Deux d’entres-elles ont servi de point de départ à ce travail : il s’agit de seq16 (renommée Metis1) et de seq7 (renommée Ir-CPI).

Le travail sur la séquence seq16 a conduit à l’identification d’une nouvelle famille de 5 métalloprotéases (nommée Metis pour Metalloprotease from Ixodes ricinus). L’analyse des séquences a permis de les associer à certaines métalloprotéases hémorragiques de venin de serpent. Bien que les 5 métalloprotéases décrites possèdent toutes les mêmes caractéristiques au niveau de leur séquence et de leur profil d’expression dans les glandes salivaires, les résultats d’analyse phylogénétique, d’étude de variation antigénique, de leur mode d’activation et de leur spécificité d’action permettent de les diviser en 3 sous-familles. L’utilisation de la technique d’ARN interférence en in vivo et l’analyse vaccinale soulignent le rôle essentiel de la famille Metis dans les premières heures du repas de la tique et de manière générale dans la réussite du repas sanguin. Enfin, des études d’activité ont montré que certains membres de la famille ont une activité fibrino(gèno)lytique ; plus particulièrement, la protéine Metis4 possède une activité protéolytique envers la gélatine, la caséine, la fibronectine et le fibrinogène. Ces études ont montré également un mode d’activation original ; plutôt que d’être activée par une pro-séquence en amino-terminal, Metis4 s’active spontanément en perdant un peptide à son extrémité carboxy-terminale.

Le travail sur la séquence seq7 a conduit à la caractérisation d’un nouvel inhibiteur de sérines protéases. Cette protéine, nommée Ir-CPI pour « Ixodes ricinus - Contact Phase Inhibitor », possède un motif kunitz et est capable d’inhiber de manière importante la voie intrinsèque de la coagulation et dans une moindre mesure la fibrinolyse. Grâce à la technique d’ARN interférence, l’activité de la protéine recombinante a été corrélée à l’activité de la protéine native exprimée dans les glandes salivaires. Ir-CPI inhibe dans un plasma humain l’activation réciproque du facteur XII, de la prékallikréine et du facteur XI, et se fixe spécifiquement à la forme activée de ces trois facteurs. De plus, Ir-CPI est capable de bloquer la fibrinolyse en inhibant spécifiquement la plasmine. Enfin, les résultats obtenus sur deux modèles animaux indépendants établissent l’effet d’Ir-CPI comme agent anti-thrombotique en empêchant la formation de caillot et de manière remarquable sans altérer l'équilibre hémostatique.

En conclusion, ce travail a identifié des protéines anti-hémostatiques qui agissent soit comme inhibiteur de protéases empêchant la coagulation soit comme protéases facilitant la lyse du caillot. Cette redondance de protéines anti-hémostatiques illustre remarquablement la capacité de la tique à agir en synergie sur des facteurs essentiels aux mécanismes de défense de l’hôte.