Thèse de doctorat
Résumé : La thèse de doctorat est consacrée au principe ex injuria jus non oritur qui signifie littéralement que le droit ne naît pas du fait illicite. Alors qu’il est incidemment évoqué par la doctrine ou la jurisprudence comme un principe général du droit international public, il n’a jamais fait l’objet d’une étude systématique destinée à en vérifier l’existence, à en mesurer la portée, à en interroger les limites et à en expliciter les soubassements théoriques. C’est cette lacune que la thèse entend combler, dans une perspective relevant de la théorie du droit international.

Dans une première partie, il s’agit de se demander si ce principe a été reconnu en droit international public, et dans l’affirmative d’en déterminer la portée juridique. La maxime ex injuria jus non oritur ne pouvant être réduite à une règle juridique particulière, la question qui se pose est plutôt de savoir si on peut la qualifier de principe du droit international public qui, sans constituer une source formelle de l’ordre juridique, permet d’expliquer la logique sous-jacente à certaines règles du droit international. Les expressions de ce principe visent d’abord des situations dans lesquelles on remet en cause la validité d’un acte juridique issu de la violation du droit international (invalidité du titre de souveraineté relatif à un territoire acquis ou occupé illégalement, invalidité de l’acte juridique adopté par une autorité illégale, nullité d’un traité dont la conclusion a été obtenue par une contrainte illicite, inadmissibilité comme preuve d’une déclaration obtenue sous la torture, invalidité d’une saisie ou d’une arrestation illégale, invalidité d’un ordre illégal émis par un supérieur hiérarchique). Dans une perspective parallèle, on retrouve le principe dans la règle selon laquelle la violation du droit international ne remet pas en cause sa validité, règle valable dans le domaine du droit des traités, de la coutume ou de la responsabilité internationale. A côté de cette dimension « objective » (dans la mesure où elle recouvre un problème de validité), une dimension plus « subjective » apparaît dans les relations entre sujets du droit international. Ainsi, l’auteur d’une violation du droit international ne peut s’en prévaloir pour revendiquer des droits, et doit plutôt en effacer les conséquences. De même, les Etats tiers ne peuvent reconnaître comme licite une situation résultant de la violation grave d’une norme impérative de droit international, ni ne peuvent prêter aide ou assistance au maintien de cette situation. A l’issue de la première partie de la thèse, on peut établir un constat nuancé : le principe ex injuria jus non oritur constitue un principe général, qui peut être induit de diverses règles de droit international positif, règles qu’il permet d’interpréter en en explicitant l’objet et le but. En même temps, cette existence ne peut être comprise que moyennant une définition stricte et limitée de ce principe, lequel ne prescrit pas, comme on aurait pu s’y attendre, qu’aucun droit ne puisse jamais résulter d’une violation du droit. En premier lieu, et au travers des différents exemples qui viennent d’être mentionnés, on peut remarquer que seules des violations graves —et non des irrégularités mineures— sont de nature à empêcher la création de droits (ainsi, par exemple, dans le domaine de la récolte de preuve). En second lieu, on remarque que seuls les droits qui découleraient directement (dans le sens où ils en consacreraient juridiquement les effets) d’une violation grave du droit ne peuvent être valablement reconnus (ainsi, par exemple, des actes quotidiens d’administration posés par un occupant illégal peuvent être reconnus, ces actes n’étant pas intrinsèquement liés à ce statut d’occupant illégal). Ce n’est que dans cette double mesure que l’on peut affirmer que, en droit international positif, il existe un principe général exprimé par la maxime ex injuria jus non oritur.

Dans la seconde partie de la thèse, le principe est confronté, d’une part (volet empirique) à des précédents dans lesquels il semble avoir été mis à mal (certaines situations semblant avoir résulté de violations graves du principe impératif de l’interdiction du recours à la force) et, d’autre part (volet théorique), à des théories du droit international susceptibles d’en expliquer à la fois le fonctionnement et les limites. Le volet empirique s’appuie sur une étude de cas : la reconnaissance du Bangladesh à la suite d’une intervention militaire de l’Inde au Pakistan, la reconnaissance des gouvernements installés au Cambodge à la suite de l’intervention militaire du Vietnam, la validité des accords conclus par la Yougoslavie à la suite de l’intervention militaire de l’OTAN, la reconnaissance du Kosovo en 2008, et l’administration de l’Irak après l’intervention militaire de 2003. Si le principe ex injuria jus non oritur est sans doute malmené dans les faits, il ne l’est pas dans le discours officiel des Etats, lesquels n’assument pas une remise en cause d’un principe dont ils reconnaissent par ailleurs (comme montré dans la première partie de la thèse) la validité. On peut se demander si cette tension entre un discours légaliste et une réalité parfois caractérisée par la force des effectivités, est susceptible d’être comprise au regard de certaines doctrines qui traitent des relations entre le fait et le droit. Ce volet spécifiquement théorique de la recherche consiste à examiner deux approches, par hypothèses opposées. La première pourrait suggérer une consécration du principe par le biais de la théorie normativiste élaborée par Hans Kelsen. Selon cette théorie, le droit (international) se définirait comme un ensemble cohérent de normes, chaque norme juridique tirant sa validité d’une autre norme juridique valide, ce qui semble exclure qu’une norme puisse s’appuyer sur une violation du droit. A l’analyse, le normativisme paraît néanmoins réfractaire à une reconnaissance du principe ex injuria jus non oritur, la validité du droit ne pouvant être détachée de toute considération fondée sur l’effectivité, et celle-ci pouvant même le cas échéant aboutir à la consécration d’une situation résultant d’une violation du droit. A l’opposé, on pourrait s’attendre à ce que l’approche critique, définie par référence aux travaux de l’ « école de Reims » qui se sont développés autour de Charles Chaumont, rejette ex injuria jus non oritur comme une maxime formaliste et fictive, la force du fait, et plus spécifiquement du rapport de forces, prévalant dans la réalité sociale comme facteur générateur de la création et de l’interprétation de la règle de droit. Ici encore, on détecte une certaine ambiguïté chez les auteurs analysés, lesquels ont recours en certaines occasions au droit comme à un instrument de lutte qui s’opposerait à la force et à la puissance. Finalement, la confrontation des approches normativiste et critique laisse apparaître un fil conducteur : le principe ex injuria jus non oritur n’est que le révélateur des difficultés, non seulement en pratique (comme l’a montré le volet empirique) mais aussi en théorie, de concilier les exigences idéalistes du respect du droit avec les impératifs réalistes de prendre en compte la force du fait.

En conclusion, le principe ex injuria jus non oritur se caractérise surtout par cette tension entre le droit et le fait, qui permet également d’expliquer les ambiguïtés observées dans la première partie, le principe n’étant admis en droit positif que moyennant une définition restrictive ouvrant à une certaine souplesse. Cette tension renvoie d’ailleurs à la question de l’existence même du droit international, lequel peut être présenté comme une forme sophistiquée de discours, et non comme un corps de règles régissant effectivement la réalité sociale. Dans cette perspective, il est intéressant de constater que, au-delà des stratégies discursives des Etats qui tentent de justifier certains faits accomplis sans remettre en cause le principe de légalité, il est certains précédents (comme celui du Bangladesh) où ces Etats restent tout simplement silencieux par rapport à cette question. Ainsi, l’analyse du principe ex injuria jus non oritur à l’épreuve de la pratique internationale tendrait peut-être, non pas à reconnaître la portée du principe en toute hypothèse, mais à montrer qu’au-delà d’un certain seuil de tension, le droit disparaît dans la mesure où le discours qui s’y rapporte disparaît. En définitive, la tension entre la légalité (l’existence formelle d’un ordre juridique international) et l’effectivité (laquelle ne témoigne pas toujours de l’existence de cet ordre juridique) est aussi celle qui habite le spécialiste de droit de droit international, parfois confronté aux limites de son activité et de sa discipline.