Résumé : Les concentrations en silice dissoute (DSi) et silice particulaire biogène (BSi) ont été mesurées pendant une année complète (en 2003) dans la zone tidale de la rivière Escaut et dans ses tributaires aux limites tidales. Alors que la DSi est restée, dans les tributaires, à des concentrations élevées toute au long de l’année, et que la BSi s’est maintenue à des concentrations faibles, la DSi a été entièrement consommée pendant l’été dans la rivière tidale et les concentrations en BSi ont augmenté. En comparant ces concentrations avec celles de la biomasse des diatomées et de la matière en suspension, il a pu être estimé que la majeure partie de la BSi en été était associée aux diatomées vivantes. Des bilans de masse de la DSi et de ces deux fractions de BSi ont été effectués sur différentes zones de la rivière tidale pendant la période durant laquelle les diatomées se développent (période productive, Mai à Octobre). Ceci a permis l’estimation de la croissance et de la mortalité des diatomées, ainsi que de la sédimentation nette de la BSi durant cette période : la moitié de la DSi apportée par les rivières a été transformée en BSi dans la rivière tidale, et la rétention de la silice y a atteint un tiers des apports fluviaux en silice “totale” (TSi = DSi + BSi). Les flux annuels de silice ont aussi été calculés pour replacer à une échelle annuelle les résultats obtenus pendant la période productive : les rétentions annuelles de DSi et la de TSi ne s élevèrent respectivement qu’à 14 et 6 %.

L’échantillonnage de l’estuaire a été effectué sur l’ensemble du gradient de salinité au cours de 11 campagnes réparties sur trois ans (de 2003 à 2005). Du fait du mélange des eaux douces et marines, les concentrations en DSi diminuèrent toujours de l’amont vers l’aval, mais les profils étaient généralement convexes ou concaves. Ils ont été interprétés en les comparant avec ceux obtenus à l’aide de la modélisation du transport conservatif. Les flux à l’embouchure ont aussi pu être recalculés, ce qui a permis de quantifier la consommation ou le relargage de DSi au sein de l’estuaire : un maximum de consommation a été observé au printemps, mais l’estuaire a été une source nette de DSi d’août à décembre. A l’échelle annuelle, 28 % des apports de DSi à l’estuaire ont été consommés.

La comparaison des profils de BSi avec ceux de la biomasse des diatomées et ceux de la matière en suspension indiqua que la plupart de la BSi dans l’estuaire était détritique (c’est-à-dire non associée aux diatomées vivantes). Ces résultats ont été confirmés par des expériences d’incorporation de silice radioactive qui, bien que la méthodologie soit complètement différente, apportèrent des résultats comparables. La dynamique complexe de la BSi a donc pu être interprétée à l’aide de celle déjà bien étudiée de la matière en suspension dans l’estuaire de l’Escaut, et un bilan de masse de la BSi dans l’estuaire a pu être établi à partir d’un bilan pour la matière en suspension obtenu de la littérature. En plus de la production de diatomées, l’estuaire a reçu presque autant de BSi de la rivière tidale que de la zone côtière. Ceci induisit que la rétention de TSi dans l’estuaire (59 %) a été plus importante que celle de la DSi.

Au final, le système tidal de l’Escaut apparaît comme un filtre important pour la silice : les rétentions globales de DSi et TSi dans ce système s’élevèrent respectivement à 39 et 61 %. La comparaison des dynamiques de la silice dans la rivière tidale et dans l’estuaire mit en évidence l’importance du rôle de l’estuaire. La consommation de DSi et la déposition de BSi par unité de surface étaient certes plus intenses dans la rivière tidale mais, à l’échelle de l’écosystème, les effets y furent limités du fait de sa faible surface comparée à celle de l’estuaire. L’une des observations les plus importantes de cette étude est celle de l’apport net de BSi à l’estuaire depuis la zone côtière, ce qui induisit une importante rétention estuarienne de la silice. Les différences importantes entre les rétentions de DSi et de TSi mettent ainsi en évidence la nécessité de prendre en compte la dynamique de la BSi dans l’étude de celle de la silice. De plus, l’importance de la BSi détritique implique que la dynamique de la BSi ne peut être étudiée de part l’observation seule de celle des diatomées. Enfin, l’apport net de BSi vers l’estuaire à l’embouchure, ainsi que l’origine en grande partie marine des diatomées se développant dans l’estuaire, soulignent l’importance de prendre en compte l’importance des échanges à l’embouchure pour le fonctionnement biogéochimique de la silice dans l’estuaire ; l’estuaire ne doit pas être vu comme un simple filtre à sens unique des espèces dissoutes et particulaires provenant uniquement des rivières en amont.