Résumé : Face à un environnement changeant, la cellule a dû développer des systèmes de régulation lui permettant de s’adapter et d’assurer son développement et sa survie. Ces systèmes de régulation s’organisent autour de réseaux de régulation transcriptionnelle permettant l’expression des gènes codant pour les protéines dont la cellule a besoin. Dans la plupart des réseaux trancriptionnels, la régulation de la transcription des gènes est « raffinée » par la présence de circuits de rétroaction positifs et négatifs à l’origine de deux types de comportements différents: la multistabilité d’une part, et les comportements homéostatiques ou oscillants d’autre part. Deux réseaux de régulation transcriptionnelle de complexité différente ont été étudiés au cours de cette thèse : le réseau p53-Mdm2 impliqué dans l'arrêt de la croissance cellulaire, la réparation de l’ADN et l’apoptose chez les mammifères, et le réseau de facteurs transcriptionnels GATA impliqué dans la régulation du catabolisme de l’azote chez la levure Saccharomyces cerevisiae. L’analyse théorique du réseau p53-Mdm2 a eu pour principal objectif de reproduire et d’interpréter les données expérimentales disponibles dans la littérature concernant la réponse oscillante de la p53 lorsque l’ADN de la cellule est endommagé. L’analyse théorique des comportements du réseau GATA, quant à elle, a été couplée à une étude expérimentale dans les milieux de qualité intermédiaire en azote peu investigués jusqu’à présent. Pour analyser les propriétés dynamiques de ces deux réseaux, plusieurs approches complémentaires, se situant à différents niveaux de description, ont été utilisées: l’approche logique, différentielle et stochastique.

La première partie de cette thèse a été consacrée à l’étude du réseau p53-Mdm2 pour lequel nous avons développé un modèle simple composé d’un circuit de rétroaction positif imbriqué dans un circuit de rétroaction négatif. Les résultats de notre analyse logique montrent que les principales propriétés dynamiques du réseau peuvent être résumées par un petit nombre de diagrammes de bifurcation logique. Ces scénarios de bifurcations diffèrent par la séquence d’activation du circuit positif et négatif composant le réseau et dépendent d’une part de l’affinité de la p53 pour ses gènes cibles et d’autre part de son activité transcriptionnelle. Nous proposons que différents stress et types cellulaires pourraient correspondre à différents scénarios de bifurcation et donc conduire à des réponses différentes après irradiation. Cette première analyse qualitative nous a permis de rendre compte de différents aspects de la dynamique du réseau observés expérimentalement, tels que le changement de fréquence des oscillations en cours de réponse, les oscillations de longue durée de la p53 ou l’amortissement rapide des oscillations à l’échelle d’une population de cellules. Pour nous affranchir des fortes non-linéarités inhérentes au traitement logique, nous avons ensuite traduit le modèle logique en un modèle différentiel et montré que les principaux comportements présentés par le modèle logique sont conservés, suggérant que la structure du réseau détermine dans une large mesure les principales potentialités dynamiques du système. L’analyse des propriétés de bifurcation du modèle différentiel en fonction du niveau de dommage à l’ADN nous a également permis de mettre en évidence la présence de deux régimes oscillants d’amplitude, de valeur moyenne et de fréquence nettement différentes, séparés par une zone de bicyclicité où ces deux régimes coexistent. Cette propriété permet d’expliquer l’existence des deux fréquences d’oscillation différentes qui ont été observées expérimentalement en fonction de la dose d’irradiation. Enfin l’analyse stochastique de notre modèle nous a, en particulier, permis de rendre compte de l’augmentation du nombre de cellules oscillant à des fréquences élevées lorsque la dose d’irradiation augmente, observée expérimentalement.

La deuxième partie de notre thèse a été consacrée à l’étude du réseau de facteurs GATA chez la levure S.cerevisiae. Ce réseau, constitué des activateurs Gln3 et Nil1 et des répresseurs Dal80 et Gzf3, comporte plusieurs circuits de rétroaction positifs et négatifs interconnectés. Dans le but d’aider à comprendre le rôle et le fonctionnement du réseau GATA, nous avons effectué une analyse théorique et expérimentale de son comportement dynamique en fonction de la qualité de la source azotée. L’analyse différentielle montre la possibilité d’un comportement bistable dans les milieux de qualité intermédiaire en azote et d’oscillations amorties suite à un transfert nutritionnel d’une condition azotée à une autre, lorsque l’activation des gènes du réseau par Gln3 et Nil1 est synergique ou lorsque le gène Gln3 est supprimé. Gzf3 serait le répresseur clef impliqué dans la bistabilité tandis que Dal80 serait le répresseur clef impliqué dans les comportements oscillants. L’analyse stochastique nous a permis d’étudier l’effet des fluctuations moléculaires sur ces comportements et les distributions de variables importantes du système dans une population de cellules. Pour le modèle synergique de la souche sauvage et celui du mutant gln3°, elle a montré l’existence, dans des milieux de qualité intermédiaire en azote, de deux populations de cellules qui coexistent : une population où l’expression de Dal80 est réprimée, une autre où son expression est activée. Enfin, l’étude de la dynamique du couplage entre la protéine fluorescente Gfp, sous le contrôle du promoteur de DAL80, et le réseau GATA montre que, pour des ordres de grandeur physiologique de la vitesse de disparition de la Gfp, la bimodalité présente au niveau du réseau GATA devrait se refléter au niveau de la Gfp.

Les comportements bistables et oscillants mis en évidence dans notre étude théorique du réseau GATA ont ensuite été testés expérimentalement en suivant la Gfp sous le contrôle du promoteur de DAL80 en fonction de la concentration de la source azotée glutamine. Cette étude expérimentale nous a permis de mettre en évidence l’existence d’oscillations amorties de la fluorescence de la protéine de fusion Dal80-Gfp. De telles oscillations cependant n’ont pas été observées dans les expériences réalisées sur les autres souches testées pour lesquelles le gène de la Gfp est fusionné au promoteur de DAL80. Notre étude expérimentale montre également l’existence, chez la souche sauvage, d’une population unique de cellules fluorescentes quelle que soit la concentration du milieu extérieur en glutamine testé (0.2mM à 10mM). Un modèle additif où l’activation des gènes du réseau par Gln3 et Nil1 n’est pas synergique serait donc en meilleur accord avec nos observations. Chez les souches où le facteur Gln3 est inactivé, par contre, deux populations cellulaires, l’une de forte fluorescence et constituée de cellules de grande taille, l’autre de plus faible fluorescence et constituée de cellules de taille plus petite, coexistent pour des concentrations intermédiaires du milieu extérieur en glutamine. La forte corrélation observée entre la taille et la fluorescence des cellules suggère que le comportement bimodal observé au niveau de la fluorescence est lié au comportement bimodal observé au niveau de la taille. Enfin, un modèle phénoménologique de la croissance cellulaire nous a permis de reproduire l’existence de deux populations cellulaires de taille distincte.