Résumé : Les étirements sont aujourd'hui une pratique courante dans les milieux sportifs et de réadaptation. Ils sont habituellement recommandés dans le but de contribuer à la prévention des blessures (Willson et al., 1991 ; Pope et al., 2000), à l’amélioration de la performance sportive lorsque celle-ci nécessite une amplitude articulaire importante (Heyters, 1985 ; Hortobagyi et al., 1985) et à la récupération de la mobilité articulaire dans le cadre d’un programme de réadaptation (Magnusson et al., 1996b). Ces méthodes, qui se sont développées ces dernières années, font classiquement appel à l’étirement passif et aux étirements neurofacilités (PNF), présentés initialement par Kabat (1958). Plus récemment, un intérêt particulier a été porté au travail musculaire excentrique. Des études ont montré que celui-ci permettait également d’augmenter l’amplitude articulaire (Willson et al., 1991 ; Nelson et Bandy, 2004).

Dans une première partie de ce travail, il nous a semblé intéressant de comparer les effets de l’étirement passif à ceux des étirements PNF par "contracté-relâché" et "contracté de l’antagoniste". Si les modalités d'application de chaque étirement sont différentes, elles présentent un intérêt majeur. De fait, elles permettent de faire varier les conditions d'allongement des différentes structures du système myotendineux, en modulant l'activité volontaire des musculatures agoniste ou antagoniste. En effet, si l’étirement passif s'effectue sans activation volontaire, l’étirement par "contracté-relâché" consiste à faire précéder l'étirement passif, d'une contraction volontaire maximale isométrique de la musculature agoniste. L’étirement par "contracté de l’antagoniste" associe à l'allongement de la musculature agoniste, une contraction volontaire maximale de la musculature antagoniste. Si de nombreuses études s'intéressent encore actuellement à caractériser leurs effets respectifs, elles ont déjà permis de montrer que ceux-ci avaient au moins deux origines distinctes, l'une neurophysiologique et l'autre mécanique (Taylor et al., 1990 ; Hutton, 1993). Au plan neurophysiologique, il est bien accepté que ces méthodes induisent une modulation de l'activité réflexe tonique facilitant le relâchement musculaire et par conséquent l’amplitude articulaire (Guissard et al., 1988 ; 2001). Il est également bien admis que l’importance de ces effets sur la musculature est variable selon la méthode employée (Guissard et Duchateau, 2006). Au plan mécanique, des études menées chez l’animal ont montré que l’étirement passif modifie les caractéristiques viscoélastiques des tissus (Taylor et al., 1990), et de fait favorise l’allongement des tissus myotendineux (McHugh et al., 1992). Chez le sujet humain, plusieurs expérimentations ont montré que l’étirement par "contracté-relâché" permet d’obtenir un allongement myotendineux et un gain d’amplitude articulaire plus important que par étirement passif (Moore et Hutton, 1980). D’autres études ont montré que l’étirement par "contracté de l’antagoniste" permet de majorer encore les gains obtenus par l’étirement "contracté-relâché" (Osternig et al., 1990). Une première question posée dans ce travail est de savoir si la contribution des processus neurophysiologiques et mécaniques se traduit d’une manière spécifique sur le rapport de compliance des tissus de l’unité myotendineuse. Le développement de techniques d’investigation, telles que l’échographie, permet désormais d’observer le comportement de l’unité myotendineuse, d’une manière non invasive (Fukunaga et al., 1992 ; Herbert et Gandevia, 1995 ; Kuno et Fukunaga, 1995 ; Maganaris et al., 1998). Elle permet ainsi d’étudier les effets d’un étirement ou d’une contraction (Fukunaga et al., 1996) sur le rapport de compliance des structures musculaires et des tissus tendineux.

S’il était intéressant d’étudier la spécificité de ces trois méthodes d’étirement classiques par rapport à leurs effets sur les tissus myotendineux, il nous paraissait pertinent d’observer celle d’un travail musculaire excentrique. En effet, la particularité de celui-ci est de soumettre l’unité myotendineuse préalablement activée, à un allongement. En réadaptation, le travail excentrique est généralement proposé dans le but d’améliorer plus rapidement la symptomatologie d’une tendinopathie (Stanish et al., 1986 ; Alfredson et al., 1998). Des études récentes ont indiqué qu’il peut également être proposé pour augmenter l'amplitude articulaire (Nelson et Bandy, 2004). Toutefois, ses effets sur les tissus myotendineux ne sont pas clairement définis dans la littérature. Chez l’animal, Heinemeier et al. (2007) ont comparé les effets d’un entraînement en contractions concentriques et excentriques sur les tissus de l’unité myotendineuse. Leurs résultats indiquent que si les tissus tendineux sont sensibles aux deux modes de contraction pour leurs effets favorisant la synthèse de collagène, les structures musculaires sont spécifiquement sensibles au mode excentrique. Chez le sujet humain, Crameri et al. (2004) ont observé une série de contractions excentriques d’intensité maximale augmente la synthèse de collagène au sein de l’ensemble des tissus de l’unité myotendineuse. Ces résultats montrent que les effets de ce travail ne se limitent pas aux tissus tendineux, tels que certains protocoles thérapeutiques le suggéraient, et que le tissu musculaire doit désormais être associé à la discussion des effets de ce travail musculaire. Dans ce contexte, la deuxième question que nous avons posée est de savoir si l’étirement de l’unité myotendineuse préalablement activée, telle que se caractérise une contraction excentrique, modifie le rapport de compliance des tissus myotendineux par rapport aux méthodes classiques. Autrement dit, si l’étirement de l’unité myotendineuse activée favorise spécifiquement l’allongement de l’un des tissus de l’unité myotendineuse.

Dans une troisième partie, il nous a paru intéressant d'étudier le comportement à l’étirement de l’unité myotendineuse, dont la compliance était modifiée suite à une désadaptation à long terme. L’hypertonie spastique, qui caractérise une majorité de sujets parétiques spastiques, est généralement caractérisée par une augmentation anormale des résistances opposées à l'étirement passif (Carey et Burghart, 1993). L’origine de ces résistances peut être attribuée à des adaptations tant neurophysiologiques (Pierrot-Deseilligny et Mazières, 1985) que mécaniques et structurelles des tissus de l'unité myotendineuse (Berger et al., 1984 ; Tardieu et al., 1989). Il n’existe pourtant pas encore dans la littérature de consensus les définissant clairement (Fridén et Lieber, 2003). En outre, l’étude récente de Lieber et Fridén (2002) a mis en évidence des modifications de l’architecture des muscles fléchisseurs du carpe. Contrairement à ce qui est généralement proposé au sujet de la longueur des fascicules spastiques (Tardieu et al., 1982), Lieber et Fridén (2002) n’ont pas mis en évidence de raccourcissement de ces derniers. Ainsi, l’hypothèse de Tardieu et al. (1982), selon laquelle le raccourcissement des fascicules est à l’origine de l’augmentation des résistances à l’allongement, ne peut plus être soutenue. Il nous paraissait ainsi intéressant d’associer, à l’observation du comportement des fascicules, celui des tissus tendineux, dans le but de déterminer si l’une de ces deux structures présente des caractéristiques particulières, susceptibles d’expliquer le développement plus important de ces résistances à l’allongement. La troisième question que nous avons posée dans ce travail est de savoir comment se caractérise, à l’étirement, le rapport de compliance des tissus musculaire et tendineux dans un contexte de spasticité.

Outre le fait que la réponse à ces différentes questions soit fondamentale pour mieux comprendre et spécifier la pratique des méthodes d’étirement, l’objectif de notre travail est non seulement de mettre en évidence le tissu dont l’allongement est spécifiquement favorisé par l’une ou l’autre méthode, mais également de contribuer à différencier celui qui limite l’étirement global du système myotendineux. Dans ce contexte, il sera intéressant de pouvoir recommander la pratique d’une méthode particulière, en fonction des besoins spécifiques de chacun.