Résumé : Enjeu politique majeur pour le pouvoir colonial, l’intimité sexuelle, familiale et domestique des populations en situation coloniale a fait l’objet de nombreuses tentatives de contrôle de la part des autorités belges au Congo. Utilisé comme preuve de l'infériorité supposée des Africains et de la supériorité supposée des Européens, le domaine de l’intimité fut à la fois au cœur de la construction des hiérarchies raciales et de la "mission civilisatrice". Cette étude retrace l’évolution des politiques de l'administration coloniale liées au mariage et à la sexualité au Congo Belge entre 1908 et 1945, telles qu’elles sont élaborées en métropole puis relayées et appliquées sur le terrain colonial. Elle illustre notamment les difficultés du pouvoir colonial à discipliner la vie privée de ses propres agents, et à imposer de nouvelles normes d’intimité et de genre aux populations colonisées. L'étude est structurée autour de trois parties. La première traite des régulations morales dont est l'objet la communauté colonisatrice, c'est-à-dire de la manière dont le pouvoir colonial débat et tente de policer, au milieu de multiples contradictions, les "mœurs" de ses agents européens et de leurs familles. La deuxième partie analyse les régulations du mariage et des formes de sexualité dites "traditionnelles" des populations colonisées. J'y étudie tout d'abord la polygamie et les systèmes de compensation matrimoniale: ces pratiques constituent les deux principaux sujets de débats et de mesures pour les autorités coloniales qui y voient, non sans raison, les fondements des systèmes matrimoniaux congolais. Sont ensuite abordées la question plus confidentielle de la fixation de l'âge de puberté des jeunes filles "indigènes" en même temps que celle du "mariage des filles non-nubiles" (expression utilisée pour désigner les mariages précoces). La troisième partie de la thèse s'interroge sur les anxiétés et les régulations visant les évolutions "modernes" du mariage et les nouvelles formes d' "immoralité" qui sont associées aux espaces urbains. Après avoir interrogé les redéfinitions des frontières du moral et de l'immoral à l'aune du développement urbain de la colonie (de manière générale et à partir de l'exemple de la catégorie des "danses obscènes"), j'ai privilégié l'étude des pratiques prostitutionnelles et des défis qu'elles posent aux ambitions de contrôle des autorités coloniales. Enfin, le dernier chapitre clôt la boucle en revenant aux conjugalités "licites" et en abordant les "troubles" que la modernité coloniale est supposée y avoir généré (adultère, divorce, abandon de domicile conjugal, concubinage, etc) et dont les femmes sont en grande part jugées responsables.