Thèse de doctorat
Résumé : Cette thèse en histoire de la philosophie propose une reconstruction interprétative de la cohérence synchronique et diachronique de la philosophie de Johann Gottlieb Fichte à la lumière de la dynamique perspectiviste de sa pensée transcendantale. Notre recherche part du problème systématique de la philosophie appliquée, c’est-à-dire du passage du point de vue transcendantal à son application dans l’action empirique. En effet, un tel passage est, d’une part, exigé comme une tâche essentielle adressée à la philosophie fichtéenne conformément à son unité théorico–pratique mais, d’autre part, il est rendu problématique par la différenciation principielle entre le point de vue de la réflexion transcendantale et le point de vue de la conscience empirique du donné factuel.

Il s’agit d’abord d’élucider les prémisses spéculatives de ce problème dans une théorie des points de vue inscrite au cœur des exposés de la Doctrine de la science (Wissenschaftslehre, WL). Nous tentons ainsi de réinterpréter les différentes versions de la WL qui vont de 1794 à 1804 en nous concentrant sur tous les concepts et procédures épistémologiques qui ressortissent à une logique perspectiviste, pour les appréhender comme des opérateurs de réflexivité du savoir philosophique dans l’auto–construction de la WL. C’est dans une telle dynamique perspectiviste que la tension conceptuelle constitutive du problème de la philosophie appliquée entre le point de vue transcendantal et le point de vue empirique ou entre le système et la vie prend tout son sens philosophique.

Cette dynamique perspectiviste qui opère au fondement spéculatif de la WL se prolonge et se concrétise ensuite dans une phénoménologie des visions du monde (Weltansichten) pensées comme points de vue de la liberté, qui trouve sa forme la plus aboutie en 1806. Le point de vue transcendantal de la liberté reconnaît alors sa genèse dans quatre points de vue empiriques qui attachent la liberté respectivement à la nature, à la loi, à l’action créatrice ou à la vie divine. C’est cette phénoménologie que nous mobilisons enfin pour mettre à l’épreuve son potentiel heuristique comme une logique de l’action ou une praxéologie de la liberté dans les écrits de philosophie appliquée et principalement dans le domaine de la philosophie politique.

Bref, la philosophie transcendantale de Fichte se développe selon une dynamique perspectiviste qui génère, d’une part, le fondement spéculatif du problème systématique de l’application empirico–pratique de la philosophie transcendantale, et qui livre, d’autre part, en tant que théorie transcendantale des points de vue pratiques, les ressources phénoménologiques et praxéologiques pour une heuristique de la liberté dans la philosophie appliquée.

Dans une deuxième partie plus exploratoire, nous cherchons à tester à la fois la signification moderne et le potentiel actuel du lien conceptuel entre réflexivité, perspectivité et liberté mis en exergue dans le système fichtéen. Nous construisons d’abord une série de dialogues que Fichte a pu ou aurait pu mener avec d’autres philosophes de l’époque moderne, en ciblant particulièrement l’idée perspectiviste comme fil conducteur des confrontations avec ces différents systèmes (Leibniz, Kant, Schelling et Hegel). Nous tentons pour finir une incursion dans le champ de la philosophie contemporaine en vue de mettre au jour une postérité cachée de la philosophie fichtéenne dans la pragmatique transcendantale de Karl–Otto Apel à travers une homologie structurelle entre ces deux philosophies, s’attestant notamment dans les questions de la fondation transcendantale du point de vue moral, de son application politique et des rapports qu’il doit entretenir avec d’autres points de vue inscrits dans la dialectique perspectiviste des intérêts de connaissance.