Résumé : La drépanocytose est la maladie moléculaire et héréditaire (transmission mendélienne récessive et autosomique) la plus répandue au monde. Elle est un problème de santé publique par sa gravité et ses implications socio-économiques dans de nombreux pays. Seuls les sujets homozygotes (SS) ou hétérozygotes composites (SC) sont malades, les hétérozygotes (AS) ne sont que des transmetteurs du gène S. Elle est la première cause d’OstéoNécrose de la Tête Fémorale (ONTF), douloureuse évoluant vers l’arthrose, en l’absence de traitement chez un patient jeune.

La Guadeloupe compte 450.000 habitants, dont 12% sont porteurs de l’hémoglobine S. Le nombre des drépanocytaires est estimé à 1.200 dont les 3/4 sont suivis au Centre Caribéen de la Drépanocytose (CCD), créé en 1990. Le centre assure la prise en charge médicale des enfants dès leur naissance et des adultes malades. Nos activités au CHU de Pointe-à-Pitre, au CCD et à l’Unité INSERM-UMR S458 depuis juillet 1992 nous ont permis d’étudier:

- le diagnostic de l’ONTF;

- l’évaluation de l’hyperpression osseuse dans l’ONTF et l’évaluation du traitement par forage simple;

- l’étude de l’impact de la prise en charge orthopédique précoce sur la survenue et l’évolution de l’ONTF.

Notre étude concerne les patients drépanocytaires adultes homozygotes (SS) et double hétérozygotes (SC):

- une série rétrospective de 1993-1994 [E-1994] portant sur 115 patients (58 SS, 57 SC) identifiés en 1984,

sans suivi médical ni orthopédique;

- une série prospective de 1995 à 2008 [E-2008] portant sur 215 patients (94 SS, 121 SC) avec prise en

charge médicale et orthopédique.

L’IRM est l’examen de référence pour le diagnostic de l’ONTF comme dans la nécrose idiopathique. En absence d’imagerie moderne, la radiographie traditionnelle réalisée de façon complète (profil et, surtout, faux profil), permet le diagnostic avant toute déformation. Seules les lésions cliniquement symptomatiques et évolutives (examen clinique itératif, contrôle radiologique, tomographie, TDM ou IRM) ont une indication opératoire.

L’hyperpression intra osseuse, dans l’ONTF drépanocytaire, est significativement liée à la douleur (que les patients soient homozygotes ou hétérozygotes). Sa diminution a un effet antalgique objectif, observée après forage. Elle permet de confirmer le diagnostic d’ostéonécrose au stade précoce, dans les régions où l’IRM est inexistante.

Un forage réalisé aux stades précoces de l’ONTF permet un arrêt rapide de l’évolution des lésions vers une arthrose, avec une efficacité certaine pour les stades I et II. Il garde une efficacité limitée pour le stade III. En plus de l’indolence apportée par la décompression, le bénéfice du forage se manifeste par l’allongement du délai avant arthroplastie (de 7,4 ± 2,7 ans). La technique est réalisable dans les régions sous équipées, où la drépanocytose est fréquente.

La description histologique aux différents stades radiologiques de l’ONTF montre toujours des lésions de nécrose médullaire et osseuse. A l’inverse des lésions idiopathiques, les lésions drépanocytaires sont caractérisées par la présence d’une inflammation, en dehors de tout processus infectieux.

Dans la littérature, la fréquente de l’ONTF drépanocytaire chez l’adulte est voisine de 40%, proche de celle observée dans [E-1994], notre population non suivie (36,5%). En comparant les études [E-1994] et [E-2008], la fréquence de l’ONTF passe de 36,5% à 14,4%. L’officialisation en 1992 d’une prise en charge médicale et d’un suivi orthopédique régulier au CCD et au CHU de Pointe-à-Pitre, a permis la réduction de la fréquence de l’ONTF et d’autres morbidités.

Le rappel sur la drépanocytose révèle la complexité de la maladie, la variabilité de son expression clinique et de ses complications. L’amélioration de vie des patients nécessite une prévention primaire, secondaire et tertiaire, en l’absence d’un traitement spécifique de la maladie.

La prise en charge médicale, complétée par une prévention et un traitement précoce (orthopédique ou chirurgical) telle que réalisés au CCD en Guadeloupe, a permis une réduction significative de la survenue de la nécrose de hanche et de ses complications. Pour une prévention tertiaire des complications ostéo-articulaires, nous suggérons:

- une prise en charge médicale régulière des enfants et des adultes afin de réduire les crises vaso-occlusives;

- une éducation des patients à la recherche de signes d’appel de l'ONTF et, aussi, d’autres articulations;

- un examen clinique ostéo-articulaire lors des bilans annuels et après toute crise vaso-occlusive;

- une attention particulière à l’adolescence (passage enfant-adulte), après une grossesse;

- une prise en charge précoce, orthopédique ou chirurgicale conservatrice (forage ou ostéotomie) face à une

nécrose, afin de réduire les complications invalidantes de l’ONTF.

Sickle-cell anemia is the most widespread hereditary (autosomal recessive Mendelian transmission) molecular pathology in the world. It is a public health issue in many countries, due to its severity and socio-economic impact. Only homozygous (SS) and double heterozygous (SC) subjects are affected, heterozygous (AS) subjects merely transmitting the gene S. Sickle-cell anemia is the most frequent cause of osteonecrosis of the femoral head (ONFH), a painful condition which evolves towards osteoarthritis if not treated at an early age.

Guadeloupe has a population of 450,000, 12% of whom are carriers of hemoglobin S. There are estimated to be 1,200 sickle-cell anemia sufferers, three-quarters of whom are followed in the Caribbean Sickle-Cell Center (Centre Caribéen de la Drépanocytose: CCD), which was set up in 1990. The Center provides medical care for adult patients and for children as of birth. Work has been ongoing since July 1992, in the Pointe-à-Pitre University Hospital, the CCD and the INSERM-UMR S458 research unit, focusing on:

- diagnosis of ONFH;

- bone hyperpressure measurement in ONFH and assessment of simple drilling treatment;

- the impact of early orthopedic treatment on the onset and evolution of ONFH.

The present study involved homozygous (SS) and double heterozygous (SC) adult sickle-cell anemia patients:

- a retrospective series, from 1993 to 1994 [S-1994], including 115 patients (58 SS, 57 SC) identified in 1984,

who had no medical or orthopedic care;

- a prospective series, from 1995 to 2008 [S-2008], including 215 patients (94 SS, 121 SC), with medical and orthopedic care.

MRI is the diagnostic gold-standard in ONFH, as in idiopathic necrosis. Where such modern imaging is not available, complete standard X-ray (lateral and especially false lateral) enables diagnosis to be made before deformity sets in. Surgery is indicated only for clinically symptomatic evolutive lesions on iterative clinical check-up, X-ray control, tomography, CT or MRI.

Intraosseous hyperpressure in sickle-cell ONFH shows a significant correlation with pain, in both homozygous and heterozygous patients. Pressure reduction is objectively pain-relieving, as seen after drilling, and can confirm diagnosis of ONFH at an early stage, in places where MRI is not available.

Drilling performed in the early stages of ONFH quickly arrests evolution towards osteoarthritis, with proven efficacy in grades I and II, and a certain degree of effectiveness in grade III. Over and above the pain-relief provided by decompression, drilling also enables hip replacement to be postponed, by 7.4±2.7 years. Moreover, the technique is feasible in those under-equipped regions in which sickle-cell disease is widespread.

Histologic description of radiologic ONFH stages consistently finds medullary and bone necrosis. In contrast to idiopathic lesions, sickle-cell related lesions show inflammation without any associated infection.

In the literature, the frequency of adult sickle-cell ONFH is reported to be nearly 40%, close to the 36.5% found in the S-1994 study of a non-treated population. In the S-2008 study of a population with medical and orthopedic care, ONFH frequency fell to 14.4%. The official provision of medical care and regular orthopedic follow-up in the CCD and Pointe-à-Pitre Hospital has reduced the frequency of ONFH and other morbidities.

A review of sickle-cell disease reveals its complexity: the variability of its clinical expression and associated complications. Improving patients’ quality of life requires primary, secondary and tertiary prevention, in the absence of specific treatment.

Medical care, supplemented by early prevention and treatment (orthopedic or surgical), as practiced in the Guadeloupe CCD, has significantly reduced the rates of ONFH and associated complications. We recommend the following CCD protocol for tertiary prevention of osteoarticular complications:

- regular medical care for children and adults, to reduce the incidence of vaso-occlusive crises;

- patient education in alarm signs of osteonecrosis of the femoral head and of other joints;

- systematic osteoarticular assessment at yearly check-up and after all vaso-occlusive crises;

- special focus on adolescence (child-to-adult transition) and following pregnancy;

- early care, both orthopedic and by conservative surgery (drilling or osteotomy), in case of necrosis, to reduce the rate of disabling complications of ONFH