Résumé : La doctrine pythagoricienne de la Tétractys est sans doute une des questions les plus délicates de l’histoire de la philosophie. Elle représente non seulement une des théories essentielles de l’arithmologie, mais aussi, ainsi que la doxographie ancienne en témoigne, « le plus grand secret et le fondement de la philosophie pythagoricienne ». Armand Delatte, dans ses classiques Etudes sur la littérature pythagoricienne, a souligné l’importance véhiculée par ce philosophème. Dans la première partie, « méthodologique », de notre étude, nous traitons du lien entre Platon et la pensée pythagoricienne, en prenant comme fil conducteur trois notions essentielles: le silence voué des initiés de l’ordre et la pratique du secret ; l’expression énigmatique et « symbolique » ; la pratique de l’allégorie (hyponoia), indissolublement associée, elle, à celle du mythe. La deuxième partie de notre travail est centrée sur le témoignage le plus ancien au sujet de la Tétractys, à savoir sur la fameuse maxime des Acousmatiques : « Qu’est-ce que l’oracle des Delphes ? La Tétractys, c'est-à-dire l’harmonie où se trouvent les Sirènes ». En outre, en modérant, d’une certaine manière, l’ « ésotérisme historique » de l’Ecole de Tübingen, dont nous nous prenons des distances quant à certains points (comme, par exemple, l’importance de la méthode allégorique), nous tentons, dans la troisième et dernière partie de notre étude, de lire certains passages mythiques de Platon comme des allégories susceptibles d’être comprises et de trouver leur cohérence à la lumière de la tradition indirecte, voire de la théorie platonicienne sur les nombres, théorie intimement liée à la doctrine pythagoricienne de la Tétractys. Dans cet ordre d’idées, à partir de la République et du Timée jusqu’au Phèdre et au Gorgias, la mathématisation platonicienne de la réalité se verrait intégrée aux mythes, dont la somptuosité poétique ne serait qu’une image de l’enchantement philosophique entraînant l’élévation de l’âme vers l’Un – Bien. Bien qu’ayant toujours présents à l’esprit les dangers auxquels notre étude s’expose, nous n’avons pas toujours su les éliminer. Nous ne méconnaissons aucunement ses lacunes et ses faiblesses. Nous considérons en revanche que son avantage réside en ce qu’elle tente de contribuer à éclairer d’une lumière nouvelle certains aspects méconnus. C’est sans doute là que se situe le danger, mais aussi son intérêt.