Résumé : Aline Bingen a fait le pari de tenter de comprendre ce que c’est que de perdre son emploi à la suite de restructurations ou de fermetures, en étudiant des cellules de reconversion, les mesures d’accompagnement des salariés licenciés, et en s’intéressant aux trajectoires sociales et professionnelles d’une vingtaine d’entre eux.

La question qui la préoccupe est notamment celle du devenir des collectifs. Question très pertinente quand on sait à quel point les collectifs de salariés jouent un rôle décisif non seulement pour l’élaboration de savoirs pratiques constitutifs du travail réel (par opposition au travail prescrit), mais aussi pour donner du sens au travail, lui redonner de la dignité et apprivoiser les pénibilités liées aux conditions dans lesquelles il se déroule. Les collectifs gèrent à leur façon le mal-être au travail et l’interprètent à travers le prisme d’une morale et de valeurs en lien avec les enjeux économiques et politiques de la société.

La perte d’emploi, la nécessité de se former pour retrouver du travail précipite les salariés dans une situation particulièrement périlleuse pour eux, précisément parce qu’ils sont confrontés de façon personnalisée, hors de tout collectif, à l’épreuve du reclassement.

Comment cela se joue-t-il concrètement ? C’est ce que Aline Bingen cherche à analyser dans sa thèse à partir d’observations et d’entretiens approfondis. Du moins dans la deuxième partie de sa thèse, car elle consacre la première à un retour sur les politiques publiques au niveau fédéral, pour identifier les empreintes de « l’Etat social actif » depuis les années 60 en matière d’accompagnement des licenciements collectifs, et plus particulièrement en région wallonne depuis les années 70.

Dans cette première partie, on peut féliciter l’auteure pour l’ampleur de ses recherches et sa volonté d’exhaustivité. Il y a là un travail dont on peut penser qu’il sera fort utile pour tous ceux qui sont intéressés par cette question du rôle de pouvoirs publics dans la gestion des reconversions des fermetures et des licenciements collectifs. On découvre la tendance inexorable vers plus d’individualisation et de mise sous condition de l’accès aux droits sociaux.

La deuxième partie quant à elle révèle les qualités d’Aline Bingen en tant que chercheure de terrain, son respect des personnes interviewées, la qualité de son écoute, la finesse de ses interprétations, la confiance qu’elle obtient des ces personnes pourtant en situation difficile. Les larges extraits qu’elle offre au lecteur, et qui témoignent de sa volonté de ne pas imposer d’analyses trop abruptes et rapides, sont absolument passionnants. Ils permettent d’avancer dans la compréhension des enjeux, des difficultés, des épreuves qui scandent le parcours de ces travailleurs licenciés et aux prises avec les dispositifs institutionnels de reclassement mais aussi des ressources de différentes natures dont ils disposent et parmi lesquelles figurent notamment les délégués syndicaux. Mais ils permettent aussi en contrepoint de comprendre ce qui faisait que ces travailleurs tenaient à leur travail et tenaient au travail. De comprendre l’importance des règles du jeu qui les liaient à leur entreprise, à leur employeur et qui volent en éclat au moment où il s’agit de préparer les licenciements. Une fois dehors de l’entreprise à la suite d’événements qui les renvoient à leur situation de salariés liés par le seul biais d’un contrat salarial de subordination juridique, l’idée d’un retour dans une entreprise de même nature leur paraît insoutenable.

Cette deuxième partie riche, originale et dense, fait un pendant particulièrement efficace à la première qui est de nature plus abstraite et plus informative. Ensemble, elles construisent un parcours de recherche qui témoignent des qualités de chercheure d’Aline Bingen.