Résumé : Alors que le silence s’était fait grand au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le judéocide a été depuis trois décennies investi par la recherche historique. Le constat est toutefois bien différent pour la période de la reconstruction des collectivités juives après 1945 qui demeure en grande partie absente de l’historiographie contemporaine. Or, le séisme que constitue le judéocide incite à analyser les divers processus qui se mettent en place et qui visent à terme à la reconstruction de la collectivité juive de Belgique. Cette thèse doctorale cherche donc à éclairer ce processus de retour à la normale. L’objectif est plus spécifiquement d’interroger la période de la reconstruction sous l'angle de l'engagement politique. C’est une histoire socio-politique et une histoire culturelle du politique de la reconstruction de la collectivité juive à Bruxelles que cette analyse propose. L'approche ainsi adoptée identifie tant les enjeux majeurs auxquels la collectivité juive fait face après la Libération que les réponses spécifiques qu'apporte l'activisme politique durant une décennie-charnière dans l'histoire des Juifs de Belgique. Dans cette réflexion sur l'investissement politique comme moteur de reconstruction, l’analyse se porte plus spécifiquement sur la participation à ce processus du milieu juif progressiste et communiste bruxellois. En appréhendant la présence et l’action spécifique des Juifs communiste dans la reconstruction à Bruxelles, cette recherche met en lumière la manière dont l'engagement politique dans ses applications concrètes peut être un facteur de revalorisation et de reconstruction de soi et de sa collectivité. A cette fin, cette étude s’articule principalement autour des archives du mouvement des Juifs communistes bruxellois, Solidarité Juive (documents administratifs et presse yiddish), de celles ses animateurs ainsi que des archives d'un certains nombres d'instances du PCB. Ces sources ainsi revisitées situent cette recherche au confluent de quatre pôles historiographiques que cette étude aliment : l’histoire des Juifs en Belgique et le judéocide, le parcours des militants juifs communistes en Belgique, l’histoire du communisme en Belgique et enfin celui des processus mémoriels.

Après une introduction et un aperçu chronologique, cette thèse s’articule autour de six chapitres. Le premier, intitulé "Une collectivité en reconstruction", esquisse une typologie socio-politique qui cerne les débats qui animent la "rue juive" au lendemain de la Seconde Guerre. Ce chapitre offre donc un tableau circonstancié des lignes de force du processus de réinsertion qui constituent le fil rouge de notre propos. Les chapitres suivants étudient plus en détail l'engagement social, mémoriel, culturel et politique des Juifs communistes à Bruxelles et leur impact effectif sur le processus de reconstruction. Le deuxième chapitre, "L'ancrage social de la mouvance judéo-communiste", illustre et analyse l'action sociale et l’implication des militants juifs communistes au sein du maillage institutionnel juif bruxellois. L'intérêt pour le devenir de la jeunesse juive est central dans ce processus. "Entre nécessité et enjeu politique : l’avenir de l’enfance juive", le chapitre 3 s'intéresse autant à la politique menée et ses applications concrètes qu'à la pédagogie qui sous-tend de manière éclairante cette démarche. L’'inscription de ces militants dans la reconstruction à travers son implication dans la promotion d'une culture yiddish populaire et sécularisée d'une part et la valorisation de la mémoire de la Résistance juive et du combat antifasciste d'autre part, deux objets (et agents) implicites mais fondamentaux de la reconstruction constituent les chapitres 4 et 5. A travers ces deux volets, cette recherche met également en lumière le processus de constitution d'une image de soi à revaloriser après les années de persécution. Le chapitre 6, "L'idéologie à l'épreuve de la reconstruction", analyse l'évolution des rapports et des tensions entre les militants juifs et le PCB. Ce portrait collectif du militantisme juif communiste à Bruxelles après 1945 met en évidence la nature même de cet engagement. Ce chapitre s'attache à décrire l'impact de cette relation et de sa détérioration sur le processus de reconstruction. Le propos illustre la tentative des militants juifs de réaliser la synthèse entre une allégeance indéfectible à une utopie politique et aux structures qui l’incarnent, et un attachement revendiqué à une identité spécifique.

Enfin, avant de conclure, cette recherche s’intéresse à l'investissement de ce militantisme juif et communiste dans une phase avancée du processus de reconstruction et de redéploiement de la collectivité juive bruxelloise autour des centres communautaires. A travers la redéfinition du paysage juif à la fin des années 1950, l'épilogue propose une réflexion sur la nature de l'identité juive et communiste d'après-guerre. Ce groupe élabore une réponse évolutive qui tente la conciliation entre des aspirations diverses. Cette dynamique centrale de la réintégration sociétale met en exergue l’impact d’un engagement politique radical, égalitaire, universaliste. Agissant comme un révélateur des tensions socio-politiques de la Belgique d'après-guerre, cet engagement politique – ce qui est propre à tout groupe minoritaire – s'avère un vecteur de reconstruction mais également d'émancipation. Il crée les conditions d'une certaine audace et offre un marchepied idéal au processus d'intégration. Créant les conditions de l'émancipation, il engendre l'explosion des possibles. Le paradoxe est néanmoins que, ce faisant, le PCB favorise la dissonance entre un cadre politique rigidement inadapté aux utopies et aux rêves qu'il avait pu susciter, et le processus d'émancipation qu’il alimente et qui libère, enfin, les "enfants du ghetto".