Résumé : Cette recherche est le récit, à vocation conceptuelle, d’une rencontre – rencontre de la philosophie avec l’ethnopsychiatrie, pratique clinique destinée à la prise en charge psychothérapeutique des patients migrants. Elle s’est déroulée au centre Georges Devereux dont l’équipe a accueilli l’auteure pendant deux ans. Rencontrer l’autre n’est jamais indifférent, cela fait quelque chose : à celui ou celle qui rencontre, à sa pensée et à l’héritage qui est le sien. La question principale est donc celle-ci : qu’est-ce que cela fait – à la pensée philosophique et à celle qui ici la représente – de rencontrer l’ethnopsychiatrie et les mondes qu’elle convoque ?

Cela implique une double exigence : décrire les transformations que subissent, dans la rencontre, des notions comme celles d’« identité », de « personne » ou de « relation », mais aussi de « collectif », de « croyance » et de « transmission », tout en montrant en quoi le récit de ces transformations n’équivaut pas à une enquête introspective et à sa restitution subjective.

La transformation principale réside dans le passage d’une pensée générale à un autre régime de pensée (qualifié de « générique » (I. Stengers, La Vierge et le neutrino, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond / Le Seuil, 2006)) qu’il s’agit de caractériser dans la mesure où la pratique clinique, en particulier dans le contexte de multiplicité qu’imposent les passages entre les mondes, semble le supposer. Dans le cadre thérapeutique d’une contrainte à la transformation en effet, les paroles, actes et gestes doivent prendre une consistance propre afin d’être opérants. Cette consistance clinique et le plan de pensée qui l’accompagne sont ce dont ce travail propose de dessiner les principaux traits : immanence, nouveauté et caractère spéculatif.

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This research gives the conceptual account of an encounter: the encounter of philosophy with ethnopsychiatry, a clinical practice which proposes psychotherapeutic treatments to migrant patients. This encounter took place at the centre Georges Devereux whose team accepted the author as an observer and participant during two years. Encountering the other is never indifferent. Something happens – to the one that encounters, to her thought and to her personal and philosophical heritage. The main question is also this: what effect does this encounter with ethnopsychiatry and the worlds it deals with have on philosophical thought and the researcher who represents it here?

This question requires a double answer: describing the changes that notions like “identity”, “relation” or “person”, but also “community”, “culture”, “belief” and “transmission” undergo in the encounter and showing at the same time that such an account is not the equivalent of an introspective inquiry and its subjective report.

The main change consists in the transition from a general way of thinking to another called “generic” (I. Stengers, La Vierge et le neutrino, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond / Le Seuil, 2006). The point is to characterize this generic way of thinking in so far as the clinical practice seems to require it – particularly dealing with the multiplicity that crossing between worlds imposes. Indeed, in a therapeutic context requiring change, the words, acts and gestures used have to take a specific consistency to be efficient. This work attempts to draw the mains traits of this clinical consistency and the level of thought that goes with: immanency, novelty and speculative character.