Résumé : Introduction et buts de la thèse

La survie du patient et du greffon se sont nettement améliorées depuis les débuts de la transplantation rénale. Les recommandations de pratiques cliniques basées sur l’évidence aident les cliniciens à améliorer la prise en charge standardisée des patients. Cependant, de nombreux programmes de recherche sont actuellement axés sur la découverte de biomarqueurs qui peuvent prédire les différents résultats chez les patients transplantés rénaux. Ces biomarqueurs sont nécessaires pour personnaliser la gestion et le traitement des patients.

Le but des travaux résumés dans cette thèse est d'évaluer l'impact potentiel de plusieurs facteurs biologiques acquis et génétiques spécifiques sur les résultats après la transplantation rénale, en particulier les facteurs de thrombophilie et les polymorphismes génétiques associés au diabète post-transplantation.

1. Facteurs de thrombophilie

Les patients en insuffisance rénale terminale présentent des anomalies complexes de la coagulation, dont les mécanismes sous-jacents ne sont pas connus à ce jour. La thrombose des vaisseaux du greffon et les événements thromboemboliques comme la thrombose veineuse profonde et / ou l’embolie pulmonaire sont des complications graves, mais relativement rares après transplantation rénale. Au cours de la dernière décennie, plusieurs études ont évalué l'impact des facteurs de thrombophilie sur les résultats après la transplantation rénale, tels que les événements thrombo-emboliques, y compris la thrombose de l’artère ou la veine du greffon, le rejet aigu, les événements cardiovasculaires ou la survie du greffon. Cependant, les limitations méthodologiques et l'hétérogénéité de ces études rendent les conclusions ou les recommandations difficiles. D’autre part, la prévalence exacte des facteurs de thrombophilie dans la population de patients en insuffisance rénale terminale et la correction éventuelle de ces facteurs après transplantation ne sont pas connues. Dans ce contexte, nous avons réalisé une étude prospective afin d’évaluer l’impact d’un panel de 11 facteurs de thrombophilie testés le jour de la transplantation et 1 mois plus tard, sur les événements thrombo-emboliques et le rejet aigu durant la première année de greffe [58]. Nous avons également évalué la prévalence de 7 facteurs de thrombophilie non-génétiques chez les patients en insuffisance rénale terminale et le taux de correction après la transplantation rénale dans une cohorte de 215 patients [59].

2. Diabète post-transplantation

Le diabète post-transplantation est une complication métabolique grave et fréquente après la transplantation. Les patients transplantés rénaux souffrant d’un diabète post-transplantation ont un risque plus élevé d'événements cardiovasculaires majeurs, de décès et d’échec de greffe. Une étude prospective rapporte une incidence de 20,5% durant les six premiers mois de greffe rénale, en utilisant les critères stricts de l'ADA (American Diabetes Association). La plupart des facteurs de risque identifiés sont communs avec le diabète de type 2 dans la population générale: l'âge, les antécédents familiaux, l’ethnie (africaine et hispanique), l'indice de masse corporelle élevé, une sérologie hépatite C positive et la présence d’un syndrome métabolique. Certains traitements immunosuppresseurs sont des facteurs de risque de diabète post-transplantation spécifiques et modifiables. Les inhibiteurs de la calcineurine sont diabétogènes et il a été clairement montré que le tacrolimus est plus diabétogène que la cyclosporine. En se basant sur ces données, nous avons remplacé le tacrolimus par la cyclosporine chez une série de patients ayant développé un diabète post-transplantation sous tacrolimus. Nous avons évalué rétrospectivement l’efficacité et la sécurité de cette approche [60]. Nous avons également élaboré des recommandations pour la prise en charge du diabète post-transplantation sur base de notre expérience et des études publiées [62].

La susceptibilité génétique du diabète post-transplantation a été étudiée par des approches «gènes candidats », mais les faibles effectifs et l'absence de réplication dans des cohortes indépendantes rendent les conclusions difficiles. Les études pan-génomiques de type « genome wide association study (GWAS) apportent un éclairage neuf sur les origines génétiques du diabète de type 2. Plus de 10 loci de susceptibilité ont été associés au diabète de type 2 dans la population générale, avec des odds ratio (OR) allant de 1.10 à 1.20, excepté un variant commun du gène TCF7L2 pour lequel le risque de la maladie augmente de 37% par allèle à risque. Nous avons utilisé une approche gène candidat en sélectionnant 11 variants génétiques associés au diabète de type 2 à travers ces GWAS et nous avons évalué leur association avec le risque de diabète post-transplantation durant les 6 premiers mois post-transplantation, dans une large cohorte de Caucasiens (N = 1076) [61].

Méthodologie générale

L’unité de transplantation rénale de l'Hôpital Erasme (Université Libre de Bruxelles) a créé une base de données clinique incluant les patients transplantés depuis 1964 dans l'institution et une biocollection (ADN et sérum) depuis 2001. En outre, depuis 2007, l'unité de transplantation rénale de l'Hôpital Erasme a développé une collaboration avec d'autres centres européens de transplantation rénale (CHU de Tours, CHU de Limoges, CHU de Brest, CHU de Saint-Étienne, CHRU de Lille, CHU de Poitiers et CHU de Bordeaux actuellement). Nous avons actuellement collecté les données cliniques et l’ADN de plus de 4000 receveurs d'allogreffe rénale.

Résultats

1. Facteurs de thrombophilie

Nous avons enrôlé prospectivement 320 greffes rénales consécutives correspondant à 317 patients greffés dans notre institution entre 2001 et 2006. Onze facteurs de thrombophilie ont étés dosés le jour de la transplantation. Dix patients ont étés exclus en raison de valeurs manquantes pour plus de 3 facteurs. Tous nos patients ont reçu de l’acide acétylsalicylique en prophylaxie, débuté juste avant la greffe. Le taux d'événements thromboemboliques et/ou de rejet aigu durant la première année post-transplantation (critère d’évaluation primaire composite) était de 16,7% chez les patients sans facteur de thrombophilie (N = 60) et de 17,2% chez ceux ayant au moins un facteur de thrombophilie (N = 250) (P=NS) le jour de la greffe. L'incidence du critère d’évaluation primaire était similaire chez les patients sans facteur de thrombophilie et ceux avec au moins deux (N = 135), ou au moins trois (n = 53) facteurs (16,3% et 15,1% respectivement, P=NS) et chez les patients avec au moins un facteur persistant 1 mois après la greffe (15,7%, P=NS). Aucun des facteurs de thrombophilie individuels présents le jour de la transplantation n’était associé au critère d’évaluation primaire. L'incidence des événements cardio-vasculaires à 1 an, la créatinine sérique à 1 an, la survie de greffe actuarielle à 4 ans n’étaient pas influencés par la présence d’au moins un facteur de thrombophilie le jour de la greffe (P= NS).

La prévalence des facteurs de thrombophilie était significativement plus élevée chez les patients dialysés que chez les patients non encore dialysés le jour de la greffe (74% vs 52,4%, P =0,03). La prévalence était similaire chez les patients hémodialysés et en dialyse péritonéale (P=NS). Un mois après la transplantation, la prévalence globale des facteurs de thrombophilie a chuté de 74,4% à 44,7% (P <0,001). La plupart des facteurs de thrombophilie avaient disparus après la transplantation.

2. Le diabète post-transplantation

Nous avons analysé rétrospectivement les paramètres du métabolisme glucidique chez 54 patients greffés rénaux traités par tacrolimus et développant un diabète post-transplantation. Trente-quatre patients ont été convertis à la cyclosporine alors que 20 patients ont poursuivi le tacrolimus (groupe contrôle). Après la conversion, le taux de rémission du diabète post-transplantation était de 42% (IC 95% :24-59%) 1 an après la conversion versus 0% dans le groupe contrôle (P=0,001). La conversion

était sûre en termes de fonction du greffon, de rejet aigu, de survie des patients et du greffon.

Dans notre étude multicentrique (Hôpital Erasme-Bruxelles, CHU de Tours, CHU de Limoges et CHRU de Lille), nous avons enrôlé 1477 patients greffés successivement. Parmi les 1229 patients éligibles pour l’étude, 1076 étaient Caucasiens (analyses primaires). Un total de 118 patients, soit 11% des Caucasiens ont développé un diabète post-transplantation durant les 6 premiers mois de greffe. En analyse multi-variée, le variant rs7903146 de TCF7L2 était indépendamment associé au diabète post-transplantation (OR = 1,60 pour chaque allèle T, P = 0,002). Les autres facteurs de risque indépendants étaient: l'âge du receveur, l’indice de masse corporelle au moment de la greffe, l'utilisation du tacrolimus et la survenue d'un épisode de rejet aigu traité par corticoïdes.

Conclusions

Les facteurs de thrombophilie sont très fréquents au stade terminal de l'insuffisance rénale et sont corrigés dans la grande majorité après la transplantation rénale. Cela suggère que la plupart des facteurs sont acquis et associés à l'urémie et / ou la dialyse. En outre, notre étude prospective n’a pas démontré d’impact des facteurs de thrombophilie détectés de manière systématique avant la transplantation sur les résultats après transplantation rénale, dans une population recevant un régime immunosuppresseur moderne et de l’acide acétylsalicylique en prophylaxie.

L’effet diabétogène du tacrolimus est réversible. Nos résultats suggèrent une amélioration significative du métabolisme glucidique après la conversion à la cyclosporine chez les patients transplantés rénaux atteints de diabète post-transplantation sous tacrolimus.

Le diabète post-transplantation et le diabète de type 2 partagent des facteurs de risque communs, dont un variant du gène TCF7L2. La place de ce type de biomarqueur dans la prédiction de la survenue du diabète post-transplantation et dans les stratégies de modification d’immunosuppression doit faire l’objet d’évaluations prospectives.