Résumé : La vie en société offre de nombreux avantages, mais comporte toutefois certains risques comme celui de la prolifération des pathogènes. Cette susceptibilité accrue s'explique notamment par la densité élevée des individus au sein des colonies, la proximité génétique et la fréquence des interactions sociales. Au sein du nid, les cadavres peuvent être porteurs de pathogènes : ils représentent un risque important pour la survie de la colonie entière et doivent donc en être écartés en permanence. L’objectif général de cette thèse est d’améliorer la compréhension des mécanismes individuels et collectifs qui régissent le rejet de ces cadavres à l’extérieur de la colonie chez la fourmi rouge, Myrmica rubra.

Tout d’abord, nous avons mis en évidence l’importance du rejet des déchets pour la survie des fourmis (Chapitre 1). Le rejet des cadavres, même exempts de pathogènes, permet d’augmenter légèrement la survie des ouvrières. La nécrophorèse prend toute son importance lorsque la colonie est exposée à des cadavres infectés par le champignon Metarrhizium anisopliae. Une limitation du rejet de ces cadavres porteurs de pathogènes entraîne une mortalité des ouvrières relativement importante (jusqu’à 30% après 50 jours) tandis que celle des larves reste très limitée. Nous avons également cherché à identifier les composés chimiques susceptibles de déclencher le rejet des cadavres par leurs congénères (Chapitre 2). Les cadavres fraîchement tués n’étaient pas rejetés rapidement. Par contre, des cadavres vieux de 1 à 6 jours étaient presque toujours éloignés du nid. Sur ces corps « âgés » de 1 à 6 jours, on constate l’apparition de deux composés : les acides oléique et linoléique. L’adjonction sur des cadavres frais d’acide oléique et/ou d’acide linoléique en quantités équivalentes à celles trouvées sur un cadavre de plus de 24h en provoque le rejet par les ouvrières. Nous avons ensuite étudié les facteurs susceptibles d’influencer le lieu de dépôt des cadavres à l’extérieur du nid (Chapitre 3). Les cadavres ne sont pas entassés dans un endroit particulier, mais dispersés autour du nid, relativement loin de l’entrée de celui-ci. De plus, le marquage passif des zones explorées par les ouvrières -qui sont un indice de fréquentation de cette zone par la colonie- n’influence pas la décision des ouvrières d’y déposer le cadavre. Lors du transport des corps, nous avons étudié quels sont les moyens utilisés par les fourmis pour leur orientation (Chapitre 4). Aucune clé chimique n’intervient dans l’orientation des fourmis transporteuses mais celles-ci utilisent leur mémoire spatiale en retournant préférentiellement dans la direction déjà visitée. Enfin, nous avons testé s’il existe une spécialisation à court ou moyen terme des ouvrières dans le transport de cadavres (Chapitre 5). Nous avons pu montrer que les fourmis transporteuses de corps peuvent se spécialiser lors de transports successifs à court terme (de l’ordre d’une heure). Par contre, aucune spécialisation dans les activités de nécrophorèse n’a pu être mise en évidence à moyen terme (de l’ordre de quelques semaines). Les fourmis transporteuses de cadavres sont le plus souvent des ouvrières actives à l’extérieur du nid qui n’ont que peu de contacts avec leurs congénères au sein du nid ou avec les stades particulièrement sensibles aux pathogènes tels que les larves.

L’ensemble des comportements liés au rejet et au transport des cadavres s’inscrivent dans les stratégies prophylactiques et hygiéniques de la colonie. Nous discuterons des liens entre le rejet des cadavres et l’ensemble des comportements appartenant à l’immunité sociale, qui permettent de limiter la prévalence et la propagation des pathogènes chez les insectes sociaux.