Résumé : La thèse exploite, pour la première fois, d’exceptionnels manuscrits de l’office cistercien. Comprenant la liturgie cistercienne d’origine messine copiée vers 1136/1140, ces documents ont servi, quelques années plus tard, de brouillons à la réforme liturgique et musicale de Bernard de Clairvaux. Ils ont été partiellement biffés et grattés de façon à correspondre aux nouvelles normes cisterciennes.

La principale liasse d’épreuves bernardines, constituée des quelque 185 folios de l’antiphonaire 12A-B de Westmalle, constitue le socle de la thèse et la matière du tableau liturgique général présenté dans l’annexe 3. Cette table distingue les pièces de première main de celles écrites par les correcteurs bernardins. Les autres épreuves, l’antiphonaire 6 de Tamié (Savoie) et les fragments de la Fille-Dieu (Suisse), ont été reproduites dans l’annexe 2. Avec les folios de Westmalle 12A-B, elles sont les seules à conserver une part importante des mélodies originelles, à révéler les corrections et les procédures bernardines. Les analyses codicologique et paléographique des documents, mises en relation avec les données historiques, ont permis de dégager deux phases de corrections et de situer l’achèvement de la réforme bernardine, vraisemblablement à Hautcrêt vers 1143.

Le répertoire de l’hymnaire a été revu (chapitre IV) et celui de la messe, réexaminé à la lumière des reliquats du premier graduel cistercien, jusqu’ici inexploités. Ces bribes intactes ont été confrontées aux équivalents de la deuxième réforme et ouvrent (chapitre III) l’étude comparative des chants de l’office du premier et du deuxième Cîteaux (chapitres VII à X).

Au fil de l’analyse, des échantillons tirés du graduel ou de l’antiphonaire sont présentés dans les tableaux synoptiques rassemblés dans l’annexe 1. Chacun d’entre eux comprend, quand c’est possible, la première version cistercienne originelle reconstituée, la version bernardine et, selon les besoins, un panel plus ou moins important de référents grégoriens (décrits au chapitre VI), destinés à replacer chaque liturgie cistercienne dans son contexte culturel et à en établir les sources.

Ce travail tend à modifier l’image de la réforme bernardine, censée avoir appauvri la tradition grégorienne par l’application stricte des règles musicales. Elle montre que de nombreuses pièces introduites par les correcteurs sont issues de la tradition clunisienne et parfois spécifiquement de la tradition de l’abbaye de Molesme d’où sont issus les pères fondateurs de Cîteaux. Les reliquats de la liturgie molesmienne notée, reproduits en fac-similé (annexes 2) et inconnus jusqu’ici, ont permis d’établir l’existence d’une chaîne de tradition musicale reliant Molesme aux monastères de sa tradition (Montier-la-Celle et Marmoutier) ; et de faire ressortir les liens qui unissent la tradition des premiers moines blancs à de nombreuses corrections bernardines. L’examen du bréviaire Paris 3241, sorti de l’anonymat en 2007 et exploité ici pour la première fois, a en particulier permis de conclure au transfert de pièces et formulaires entiers de la tradition molesmienne vers le deuxième Cîteaux.

Bien plus que la théorie musicale, réputée si importante, mais en réalité modérément appliquée, ce sont la raison pratique, le souci de l’authenticité et de la bonne articulation du texte latin, l’esthétique et la culture mélodique du terroir bourguignon qui ont guidé les choix des réformateurs bernardins. La liturgie messine, adoptée à Cîteaux entre 1108 et 1143, était porteuse de variantes dialectales que les Bernardins ont abandonnées pour se réapproprier leur patrimoine ancestral, marqué par des segments musicaux expressifs et des idiomes caractéristiques du domaine latin.

L’interprétation musicale de spécimens du premier et du deuxième Cîteaux, mis en regard, illustre ce basculement culturel de l’ensemble liturgique « est » vers celui de l’« ouest ». La pochette musicale comprend aussi quelques unica et emprunts traditionnels ciblés qui illustrent la richesse de l’esthétique du deuxième Cîteaux.