Résumé : Cette thèse est consacrée à l’évolution de l’inscription spatiale des artistes plasticiens dans la ville : elle entend questionner le caractère pionnier de celle-ci en relation avec les transformations du tissu urbain ainsi que le rôle prescripteur des artistes auprès d’autres groupes sociaux, tels qu’ils se trouvent décrits dans la littérature. L’originalité du travail réside dans le traitement empirique de la question posée, prenant comme cas d’étude le territoire de l’actuelle Région bruxelloise.

En étendant l’interrogation de la position pionnière des artistes sur le plan temporel et spatial et en réalisant un travail de cartographie, j’envisage sous un jour nouveau les logiques spatiales (rôle de précurseurs) mais aussi culturelles (rôle de prescripteurs) dans lesquelles les artistes s’inscrivent, dans le cadre des dynamiques urbaines actuelles et passées. Ce faisant, je réalise une cartographie originale et inédite de la création artistique à Bruxelles, présentée dans le premier tableau de ma thèse. Le travail empirique repose sur plusieurs choix méthodologiques importants : en considérant une longue période d’analyse temporelle, il est possible d’envisager d’autres dynamiques urbaines que les seuls phénomènes de gentrification par lesquels les géographes traitent de la présence des artistes en ville. Je privilégie également une petite échelle d’analyse (le territoire régional), n’envisageant que dans un second temps, en fonction des concentrations d’artistes mises en évidence, des analyses approfondies à plus grande échelle (des quartiers d’artistes). Les données récoltées localisent les plasticiens à leur lieu de résidence : puisées dans des sources variées ayant pour point commun de recenser de nombreux individus, elles permettent de constituer une géographie des artistes en tant que groupe, selon une approche destinée à révéler les logiques collectives de l’évolution de leur présence au sein de l’espace urbain et de ses dynamiques historiques et actuelles.

Dans une perspective plus large, non mécaniste et ancrée dans l’analyse des disparités territoriales de l’espace urbain, je m’intéresse dans le second tableau de ma thèse au développement des grandes concentrations d’artistes bruxelloises, à leur structuration interne et à la cohabitation des créateurs et d’autres groupes sociaux − bourgeoisie cultivée ou “nouvelle classe moyenne précaire”. Une série de facteurs sont mis en évidence pour appréhender la géographie observée : de nature matérielle ou symbolique, ils expliquent le développement et la reproduction des certains quartiers d’artistes ou, au contraire, des logiques d’évitement ou d’affaiblissement dans d’autres espaces.

Les résultats obtenus m’amènent au final à réfuter l’affirmation selon laquelle les artistes occuperaient une position spatiale pionnière dans le développement des dynamiques urbaines, en raison notamment de la temporalité de leur répartition et des permanences spatiales mises en évidence à Bruxelles. Il semble clair toutefois qu’ils peuvent jouer un rôle prescripteur auprès d’autres habitants dont ils influencent les pratiques, y compris en matière de choix résidentiels, selon des logiques propres aux différentes époques analysées. En raison de ce potentiel prescripteur précisément, il est possible de comprendre l’intérêt développé aujourd’hui par les pouvoirs publics pour la présence des artistes et l’instrumentalisation de celle-ci, expliquant le succès du recours à la métaphore pionnière dans le cadre des entreprises de redéveloppement urbain.