Résumé : En Belgique, à l’instar d’autres populations d’origine immigrée, les populations d’origine africaine subsaharienne font face à une relative impuissance. Cette dernière peut-être déterminée en fonction de critères tels que l’accès à l’emploi, au logement, à l’enseignement, ou encore le statut juridico-politique. Dans ma thèse, je m’intéresse aux stratégies mises en place par ces populations afin d’améliorer collectivement leur sort. J’articule la question des conséquences sociales et culturelles de la migration en termes de dialectique de l’identification, focalisée notamment sur l’utilisation couramment synonymique des catégories ethno-raciales « africain », « subsaharien » et « noir », avec celle des formes de l’action collective dégagées dans le cadre des social movement studies. Ma réflexion part d’une proposition théorique formulée de façon synthétique par Pnina Werbner et suggérant que, malgré le climat concurrentiel que la formation et l’expansion d’associations ethniques peut générer, leur développement et leur mise en relation constituerait les prémices incontournables d’éventuelles actions collectives protestataires. Pour Pnina Werbner, cette mise en réseau des associations, si elle s’assortit d’un processus de « convergence idéologique », peut donner lieu à des mobilisations. J’ai enrichi cette proposition de deux manières : d’une part, en affinant la notion de convergence idéologique au moyen de la littérature sur le cadrage et le processus d’alignement des cadres dans la mobilisation collective, et, d’autre part, en articulant dans mon analyse les trois courants théoriques centraux des recherches sur des mouvements sociaux – structure des opportunités politiques, mobilisations des ressources, cadres de l’action collective.

J’ai ainsi montré que le système politique belge était globalement à la fois favorable à l’expression de potentiels mouvements sociaux issus de l’immigration et peu ouvert à leur reconnaissance officielle. J’ai également mis en évidence que les niveaux infra-nationaux et supra-nationaux véhiculaient des opportunités politiques spécifiques. Je me suis ensuite penchée sur la façon dont les différentes opportunités et contraintes politiques mises à jour ont été saisies par deux associations « africaines » soucieuses de former un groupe d’intérêt représentant l’ensemble de la collectivité d’origine africaine subsaharienne, et sur les conséquences organisationnelles de ces choix. Ces études de cas m’ont permis de mettre en exergue le répertoire d’action accommodateur dans lequel ces organisations s’inscrivent, et la relation de leurs membres avec la structure des opportunités politiques. J’ai souligné comment certaines de ces opportunités, dans la façon dont elles ont été réappropriées par les leaders associatifs, ont eu un impact négatif sur la cohésion interne de leurs associations. Aussi, en me penchant plus spécifiquement sur la façon dont les différentes parties prenantes de ces organisations donnent sens aux activités de celles-ci, j’ai montré que les objectifs de ces associations étaient, de façon générale, investis de sens fort différents par les acteurs, y compris au sein des collèges d’administrateurs. Dans la lignée des travaux de Michael Herzfeld, les résultats de ma recherche soulignent la relation disémique inévitable entre la volonté de représentation communautaire officielle et les pratiques internes à la collectivité. Depuis quelques années, les entrepreneurs de représentation de cette collectivité tâchent d’amenuiser cette disémie en engageant leurs associations respectives, rebaptisées « panafricaines », dans des actions collectives. L’analyse de ces actions rend compte de la construction d’un « répertoire symbolique commun » qui se décline autour du référent panafricain et de politiques identitaires pragmatiques. Enfin, j’ai identifié les formes de sociabilité plutôt élitaires du réseau associatif « panafricain » comme une limite de son extension.

Ces développements empiriques montrent tout l’intérêt d’observer largement « l’espace des mouvements sociaux », c’est-à-dire la trajectoire des organisations et des acteurs susceptibles de donner forme à l’action collective. Ce faisant, mon travail contribue à décloisonner des études sur les mouvements sociaux trop souvent cantonnées aux actions protestataires directement menées contre l’autorité publique.