Résumé : « Brûler du caillou » Histoire et Archéologie de la chaux et des mortiers en Wallonie : de la villa de Merbes au Palais de Mariemont

Thèse présentée par Marie Demelenne le 21 juin 2013 en vue de l’obtention du grade académique de Docteur en Histoire, art et archéologie sous la direction des professeurs Alain Dierkens et Michel de Waha

Partant du constat que les enseignements à tirer des mortiers et la chaux historiques sont sous-utilisés par les archéologues de terrain en Wallonie, et du fait qu’un accroissement des connaissances à leur sujet permettrait une conservation –restauration du patrimoine historique avec des matériaux d’avantage compatibles et durables, la thèse adopte une double démarche expérimentale.

En premier lieu, un protocole de caractérisation original a été créé, ainsi qu’une base de données évolutive des mortiers et enduits historiques en Wallonie comprenant vingt-cinq sites et pus de 600 échantillons.

Le protocole de caractérisation s’est attaché à utiliser à la fois des méthodes connues et réputées éprouvées, comme la macroscopie et la pétrochimie (en étroite collaboration avec le Pr. M.-P. Delplancke de l’Ecole polytechnique de l’ULB, l’Institut royal du patrimoine artistique (KIK-IRPA, Roald Hayen, sous la direction d’Hilde de Clercq) et l’Institut scientifique des Services publics (Issep, le géologue D. Bossiroy)). Un volet original a été également été intégré au sein de ce protocole, consacré à la caractérisation des propriétés physiques et mécaniques des matériaux, développé en partenariat avec la Faculté polytechnique de l’Université de Mons (Pr. L. Van Parys et Dr. Ir. F. Dagrain). Quatre sites majeurs ont été choisis dans la base de données : la ville romaine de Merbes-le-Château (Erquelinnes), les édifices religieux du sous-sol de la Grand-place de Nivelles, la fortification carolingienne de Pont-de-Bonne (Modave) et le Palais de Charles de Lorraine à Mariemont (Morlanwelz). Ces sites sont représentatifs d’époques, terroirs et types d’occupation différents.

Les résultats obtenus par les différentes méthodes ont été comparés et confrontés entre eux, afin d’évaluer leur pertinence en fonction des questions posées.

Une première histoire du matériau en Wallonie a ainsi été jalonnée tout en contribuant à la compréhension et à l’interprétation des sites majeurs. D’un point de vue méthodologique, un protocole minimal destiné à l’archéologie et un autre, complémentaire, destiné à documenter les actions de conservation –restauration ont été décrits, et les ressources nécessaires pour les mettre en œuvre évaluées.

En second lieu, nous nous sommes attachée à documenter le processus de fabrication de la chaux, en recoupant différentes sources (textuelles, iconographiques, résultats de fouilles et observations de terrain, artisanat contemporain, expérimentations) afin de préparer un cycle d’expérimentation archéologique de cinq fours à chaux. Ces structures ont été reconstituées sur deux sites historiques de la chaufournerie wallonne : le site des Fours de l’Almanach à Calonne (Antoing, Hainaut) et la villa romaine de Malagne (Rochefort, Province de Namur), à proximité immédiate des carrières de pierre de Jemelle (Groupe Lhoist). Enregistrées et instrumentées, nos expérimentations ont permis d’évaluer les quantités de combustibles (houille, bois, charbon de bois) nécessaires pour calciner deux types de pierre calcaire. Ce cycle a permis d’approcher in vivo le savoir-faire technique et d’évaluer les besoins en ressources (durée des aménagements, matériaux, personnel) indispensables pour calciner la chaux. Ces résultats ouvrent la voie à de nouvelles manières d’appréhender le chantier de construction au sein de l’environnement naturel et anthropique (communautés et bassins culturels et techniques, modes de transmission des savoir-faire, rapports de force et de dépendance entre maîtres d’ouvrage et propriétaires fonciers, …).

D’un point de vue méthodologique, l’observation d’autres expérimentations et la conduite de notre propre cycle expérimental ont été utilisées également au bénéfice d’une réflexion épistémologique et pratique, dont les résultats sont traduits dans une fiche d’analyse et de préparation d’une expérimentation archéologique rigoureusement menée.

En conclusion, notre thèse permet de reconsidérer le statut des mortiers et de la chaux historiques en Wallonie. Porteurs de nombreuses informations recherchées par l’archéologue, comme le degré d’appropriation de savoir-faire au sein d’une chaîne opératoire technique complexe, les fonctions et technologies de maçonneries, l’environnement naturel et anthropique, ils constituent des biens archéologiques à part entière et doivent être étudiés suivant un protocole qui est maintenant défini et accessible.