Résumé : Un des aspects les plus marquants de l'évolution des grands singes est l'augmentation relative du volume du cerveau, et en particulier du néocortex, qui culmine chez Homo sapiens. La microcéphalie primaire est une anomalie congénitale du développement cérébral humain caractérisée par un cerveau normalement formé mais de petit volume. Il en existe une forme isolée, non syndromique, dont la majorité des cas sont d'origine génétique et transmis sur le mode autosomique récessif (MCPH), qui constituent donc un modèle génétiquement simple qui résulte de l'altération d'un seul gène, essentiel dans le développement volumique du cerveau. Une consanguinité parentale est présente dans la majorité des cas, ce qui permet une approche puissante de localisation génomique de la mutation responsable, nommée cartographie d'homozygotie. A ce jour, huit gènes causant cette anomalie ont déjà été identifiés : BRIT1 (MCPH1), ASPM (MCPH5), CDK5RAP2 (MCPH3) et CENPJ (MCPH6), et plus récemment, STIL (MCPH7), CEP152 (MCPH9), WDR62 (MCPH2) et CEP135 (MCPH8). Tous ces gènes jouent un rôle au niveau du cycle cellulaire. Nous avons tenté, au cours de ce doctorat, d’identifier et de caractériser un nouveau gène du locus MCPH4 cartographié au laboratoire et situé sur le bras long du chromosome 15.

Dans trois familles MCPH4 originaires de villages voisins du Maroc rural, nous avons affiné la zone de liaison à un segment de 3,7cM, contenant un haplotype commun sur une longueur de 2,7cM suggérant un déséquilibre de liaison autour d’une mutation ancestrale. Le LOD score combiné dans les trois familles était supérieur à 6. Parmi les gènes contenus dans cette région, nous avons sélectionné des candidats que nous avons ensuite analysés par séquençage direct de l’ADN de nos patients. Parmi ces gènes, CASC5 présentait un variant, homozygote chez nos patients, hétérozygote chez leurs parents sains et absent chez 150 contrôles non apparentés. Nous avons utilisé la technologie 454 de séquençage à haut débit de Roche pour séquencer les gènes de l’intervalle de 2.7Mb en une fois. Parmi les mutations identifiées, nous n’avons trouvé qu’une seule variation exonique inconnue qui correspondait à la variation faux-sens déjà identifiée dans le gène CASC5. CASC5 est une protéine centromérique requise pour l’alignement des chromosomes à la métaphase et pour le point de contrôle métaphasique de la progression mitotique. Il était donc potentiellement un très bon candidat causal de la microcéphalie primaire. CASC5 lie directement MIS12, BUB1, BUBR1 et Zwint-1, et fait partie du réseau KMN du kinétochore. Il est nécessaire à l’ancrage des centromères chromosomiques au fuseau mitotique, et est requis pour le contrôle du cycle cellulaire au niveau du Spindle-Assembly Checkpoint.

Nous avons ensuite confirmé que la mutation génère un défaut d’épissage chez nos patients consistant en la perte partielle de l’exon 18 dans l’ARNm. La perte de cet exon conduit à un déphasage du cadre de lecture provoquant l’apparition d’un codon STOP prématuré dans l’exon 19. Ceci prédit donc la formation d’une protéine tronquée, ou absente après dégradation par le mécanisme cellulaire de dégradation des ARNm non-sens. Par Western-Blotting nous avons pu révéler, en lignée lymphoblastoïdes, la protéine CASC5 endogène chez tous nos patients, y compris, à notre surprise, chez les sujets atteints.

Il est décrit dans la littérature qu’un knockdown de CASC5 provoque un mauvais alignement des chromosomes, une entrée prématurée en mitose et la formation de micronoyaux, conséquence d’un mauvais alignement des chromosomes pendant la métaphase. Les différentes études menées sur le phénotype cellulaire de nos patients en lignées lymphoblastoïdes n’ont pu révéler ces défauts. Notre hypothèse est que l’allèle muté est hypomorphe et que le phénotype cellulaire décrit en boites de culture ne s’observerait in vivo que dans certaines cellules du cerveau en cours de développement.

En parallèle de ces travaux, nous avons également contribué à l’identification de la cause d’une microcéphalie primaire syndromique, associée à un diabète insulino-requérant précoce, tansmis sur le mode récessif autosomique et identifié dans une famille d’origine marocaine. Notre laboratoire avait localisé la mutation dans une région de 3 cM du chromosome 4. Parmi les 39 gènes compris dans cette région, nous en avons sélectionné et séquencé plusieurs. Aucun n’a cependant montré de mutation. Un séquençage de l'exome complet de l’un de nos patients, a permis de mettre en évidence une mutation non-sens homozygote dans un gène de l’intervalle critique de liaison. La mutation ségrège avec le phénotype autosomique récessif chez les malades, leurs parents et leurs germains asymptomatiques. L’abondance du transcrit de ce gène a été mesurée en lignées lymphoblastoïdes de patients : il est présent en quantité similaire chez les patients et chez un contrôle non apparenté.

En conclusion, notre travail a permis l’identification d’un nouveau gène muté chez des patients atteints de microcéphalie primaire, CASC5, avec un haut degré de preuve de causalité de cette mutation, impliquant ainsi une protéine du réseau KMN du kinétochore dans le développement volumique du cerveau humain. Nous avons par ailleurs contribué à l’identification d’un nouveau gène causant microcéphalie primaire et diabète juvénile, dont le mécanisme biologique est en cours d’investigation.