Résumé : La maladie de Chagas, due au protozoaire Trypanosoma cruzi, est un important problème de santé publique en Amérique latine. Le parasite peut se transmettre à l’homme via un vecteur de la famille des triatomes, par transfusion sanguine ou transplantation d’organe et congénitalement de la mère à son fœtus. Le Laboratoire de Parasitologie s’est particulièrement intéressé à la maladie de Chagas congénitale. Dans le cadre de cette thématique, le Laboratoire a montré que les nouveau-nés congénitalement infectés par T. cruzi développent une forte réponse lymphocytaire T CD8+ spécifique semblable à celle des adultes, accompagnée d’une production d’interféron-gamma (IFN-g), et ce en dépit de l’immaturité bien connue du système immun néonatal. En effet, le système immun néonatal est naturellement orienté vers le développement de réponses immunes Th2 tandis que la réponse Th1 est inhibée. De multiples mécanismes sont à l’origine de cette déviation en début de vie. Certaines déficiences au niveau des cellules du système immun inné y contribuent, dont la difficulté des cellules dendritiques (DCs) à produire de l’IL-12, cytokine clé dans l’induction d’une réponse Th1. Les multiples déficiences du système immun en début de vie rendent les nouveau-nés et jeunes enfants particulièrement sensibles aux pathogènes et limitent l’efficacité des vaccins administrés en début de vie.

Afin de mieux connaître les mécanismes par lesquels T. cruzi induit cette forte réponse immune de type 1 chez les nouveau-nés, nous nous sommes intéressés à l’activation de la réponse immune innée par le parasite. De nombreuses cellules peuvent être impliquées dans la mise en place d’une réponse de type 1, dont les cellules dendritiques (DCs), les monocytes et les cellules NK. Le Laboratoire de Parasitologie a montré que T. cruzi activait in vitro les DCs néonatales, les rendant capables d’induire une réponse lymphocytaire T plus orientée vers la production d’IFN-g. D’autres données obtenues chez les nouveau-nés congénitalement infectés par T. cruzi suggèrent que les cellules NK ont été activées in utero quand le parasite a été transmis par la mère infectée. Nous nous sommes ici intéressés à la capacité des cellules NK néonatales à produire rapidement de l’IFN-g en réponse à T. cruzi. Une telle production précoce est en effet un élément contribuant à orienter une réponse immune de type 1.

Nous avons effectué des co-cultures de cellules mononucléaires de sang de cordon de nouveau-nés sains (CBMC) ou de sang périphérique adulte (PBMC) avec des trypomastigotes vivants de T. cruzi. Nos résultats montrent qu’en présence d’IL-15, T. cruzi induit une forte production d’IFN-g par les CBMC. Cette réponse est précoce et est accompagnée d’une production de TNF-a mais pas d’IL-10. Les cellules NK CD56brightCD16-/low et CD56dimCD16- sont les meilleures productrices d’IFN-g dans les deux groupes d’âges. La réponse des cellules NK néonatales est substantielle mais reste légèrement inférieure à celle des cellules adultes. Nous avons par ailleurs observé un déficit de production précoce d’IFN-g par les cellules T CD3+CD56+ (NK-like) et CD3+CD56- (« classiques ») néonatales par rapport aux cellules adultes.

La réponse IFN-g par les cellules NK est proportionnelle aux concentrations de parasites et d’IL-15 et accompagnée d’une activation phénotypique des cellules NK. Il est bien connu que des cellules accessoires telles que les cellules dendritiques et les monocytes contribuent généralement à activer indirectement les cellules NK. Des expériences de déplétion cellulaire indiquent que la production d’IFN-g par les cellules NK néonatales sensibilisées par l’IL-15 fait intervenir les monocytes mais pas les DCs myéloïdes, et qu’un contact avec les monocytes est nécessaire. De plus, elle requiert un contact du parasite vivant avec les CBMC et implique l’engagement des TLR2 et TLR4, ainsi qu’une production endogène d’IL-12.

Enfin, nous avons observé que les monocytes, et non les DCs myéloïdes, sont la source précoce de l’IL-12p70. Les parasites sont capables d’induire la synthèse de cette cytokine importante pour l’initiation d’une réponse de type 1 en l’absence de cytokines additionnelles, aussi bien dans les monocytes néonataux qu’adultes. La synthèse d’IL-12 par les monocytes s’accompagne d’une augmentation de l’expression de molécules co-activatrices CD40, CD80 et CD83 à leur surface. Ces dernières pourraient dès lors jouer un rôle supplémentaire dans l’activation indirecte des cellules NK néonatales par le parasite.

Cet ensemble de résultats montre que T. cruzi active les cellules néonatales du système immunitaire et plus particulièrement la production d’IL-12 par les monocytes et d’IFN-g par les cellules NK. Cette voie d’activation monocytes – IL-12 – cellules NK – IFN-g pourrait contribuer à la levée de l’immaturité du système immun des nouveau-nés congénitalement infectés décrite plus haut. Ces observations ont d’importantes implications pour la compréhension des mécanismes de protection en début de vie et pourraient aboutir à la mise au point d’un nouvel adjuvant vaccinal permettant de réduire la polarisation Th2 physiologique des nouveau-nés.