Résumé : La dissertation doctorale porte sur les mécanismes de responsabilisation des hauts fonctionnaires adoptés et mis en œuvre aux différents niveaux de pouvoir belges. Elle s’interroge sur leur intégration au sein du système politico-administratif belge. L’étude de ce sujet débouche sur l’examen d’un sujet connexe, à savoir, le partage des responsabilités politiques et managériales au sein du triangle exécutif formé des membres de gouvernement, de leurs collaborateurs personnels au sein des cabinets ministériels et des hauts fonctionnaires. L’analyse de ces thèmes est enrichie par une comparaison internationale qui porte sur la Suisse, la France, le Danemark et les Pays-Bas.

Pour ce faire, le premier chapitre se consacre à la construction du cadre d’analyse de la responsabilisation des hauts fonctionnaires. La responsabilisation des cadres dirigeants de l’administration est une thématique importante du management public (Crozet P. & Desmarais C., 2005). Bezes (2007) la présente comme un des nombreux slogans du New Public Management (Hood Ch., 1991). Pour autant, la littérature propre au management public qu’elle soit francophone ou anglo-saxonne n’offre pas de consensus autour du concept. Celui-ci y est régulièrement associé à différentes pratiques qui s’opposent dans certains cas (Chevallier J., 2007 ; Pollitt Ch. & Bouckaert G., 2004, Morales La Mura, 2003 ; Minogue et al., 1998, Martin J., 1997, Romsek B., 1996). Toutefois, nous pouvons reconnaître un point commun évident aux différentes approches. Elles déclinent, pour la plupart, la notion de responsabilité. Celle-ci est tour à tour déléguée, renforcée ou étendue et s’exprime vis-à-vis de l’autorité politique ou vis-à-vis des citoyens. C’est donc ce concept fondateur qui est pris comme point de départ de notre recherche et qui nous permet de construire notre cadre d’analyse de la responsabilisation. Différentes réalités de la responsabilité sont envisagées en fonction des courants de pensée qui ont influencé la vague globale de modernisation des états au sein duquel la responsabilisation s’inscrit. Il s’agit de la responsabilité managériale, de la responsabilité politique et de la responsabilité organisationnelle. Le développement de chacune d’entre elles nous permet de mettre en exergue les principes fondateurs de la responsabilisation. Parmi eux, il nous faut d’abord distinguer les principes relatifs à la responsabilisation des hauts fonctionnaires devant le parlement de ceux propres à la responsabilisation des hauts fonctionnaires devant leur(s) ministre(s). Les premiers renvoient à la délégation de pouvoir envers les dirigeants de l’administration par le parlement, leur reddition des comptes devant celui-ci suivi de leur soumission à la sanction et/ou à la gratification. Les seconds reprennent la délégation par les ministres de marge d’autonomie dans la gestion de leur département administratifs, leur participation au processus décisionnels des politiques publiques, la mise en place de formation et d’épreuves pour leur désignation, la fixation d’objectifs, relatifs tant à leur comportement qu’aux résultats à atteindre au sein de leur département, accompagnés d’indicateurs de performance, leur reddition des comptes devant leurs ministres concernant l’atteinte de ces objectifs suivie de la délivrance d’un feedback quant à leurs résultats obtenus et de leur soumission à la sanction et/ou à la gratification ou à des conséquences positives ou négatives pour leur département. Tous ces principes sont constitutifs de notre double grille d’analyse de la responsabilisation des hauts fonctionnaires.

Dans la suite de la recherche, notre cadre d’analyse est appliqué au terrain belge. Plus précisément, nous étudions la contribution de la modernisation de l’Etat fédéral belge, à savoir le Plan Copernic, à la responsabilisation des hauts fonctionnaires. Autrement dit, nous nous interrogeons primo sur le fait que les changements en management public au niveau fédéral ont bien ambitionné la satisfaction des différents principes définis par notre cadre d’analyse. Secundo, nous voyons si ces principes ont été concrétisés en mécanismes formels dans la règlementation. Tertio, nous analysons dans quelle mesure les différents principes de responsabilisation ont été traduits dans la pratique. Cette analyse en trois temps nous mène à la mise en exergue d’écarts entre, d’une part, les ambitions des mécanismes et leur introduction dans la règlementation, et, d’autre part, entre cette élaboration des dispositifs et leur mise en œuvre, ce qui, in fine, nous permet de tirer un bilan sur la contribution du Plan Copernic à la responsabilisation des hauts fonctionnaires.

Ensuite, nous tentons de comprendre les raisons qui ont mené à ces écarts. Nous étudions le bilan des réformes visant la responsabilisation des hauts fonctionnaires à travers les comportements des acteurs et leurs incidences sur l’élaboration et la mise en œuvre des mécanismes. Nous analysons donc l’appropriation des mécanismes de responsabilisation par les acteurs en charge du développement des mécanismes de responsabilisation mais également par ceux participant à leur mise en œuvre. Pour ce faire, nous avons recours à l’analyse stratégique développée par Crozier & Friedberg (1977) que nous appliquons au système politico-administratif belge et à ses acteurs.

Nos résultats obtenus mettent en exergue un manque d’adéquation entre les mécanismes de responsabilisation et le système politico-administratif dans lequel ils se sont insérés. Nous réalisons alors une mise en perspectives des résultats fédéraux en examinant l’introduction des mécanismes de responsabilisation au sein des autres niveaux de pouvoirs belges, à savoir en Communauté flamande, en Communauté française, en Région wallonne ainsi qu’en Région de Bruxelles-Capitale. Les différentes réformes sont analysées à la lumière des apports fédéraux afin de proposer une comparaison nationale des résultats et une généralisation du constat posé en Belgique.

Enfin, une comparaison internationale de mécanismes de responsabilisation introduits en Suisse, en France, au Danemark et au Pays-Bas est réalisée. Notre cadre d’analyse s’applique alors aux quatre systèmes administratifs des pays sélectionnés. Autrement dit, nous analysons dans quelle mesure les différents principes de responsabilisation ont été traduits dans les règlementations et pratiques étrangères. Pour chacun des pays, un lien est établi entre la satisfaction des principes de responsabilisation et certaines variables du système politico-administratif telles que le régime décisionnel gouvernemental, l’entourage ministériel, le rapport avec le parlement et le poids des partis politiques. Ce faisant, nous approfondissement le lien entre l’échec des mesures de responsabilisation et différents types de systèmes pour, in fine, aboutir à une remise en cause du concept de responsabilisation appliqués aux cadres dirigeants de l’administration.