Résumé : Cette thèse porte sur les opérations militaires menées par l’Union européenne et s’interroge sur leurs effets dans deux domaines : le processus d’européanisation et l’évolution du maintien de la paix. Pour les partisans du choix rationnel, l’européanisation reflète les préférences des principales puissances européennes, qui s’imposent aux autres États, surtout dans le domaine des politiques de défense. Pour les constructivistes à l’inverse, la gestion en commun des crises internationales entraîne des adaptations et un certain rapprochement des façons de faire nationales.

Pour solutionner ce débat, cette recherche expose et défend une approche sociologique des opérations militaires de l’UE, qui s’inspire du tournant pratique en relations internationales et des usages de l’Europe en études européennes. Cette approche insiste sur le contexte de l’interaction, les stratégies sociales des acteurs, et le bien-fondé d’une méthode interprétative qui s’appuie sur l’expérience de ces acteurs. La démonstration empirique repose sur une analyse qualitative comparative de deux cas opposés : les acteurs français et irlandais dans le cadre de l’opération militaire EUFOR Tchad/RCA, dont ils eurent la charge.

La recherche conclut que l’européanisation n’est pas un phénomène linéaire et homogène, et que sa forme dépend avant tout du contexte et des acteurs observés. Au niveau politique et décisionnel (à Bruxelles), les logiques nationales l’emportent, chaque acteur tentant de mettre à profit ses ressources opportunes (matérielles, idéelles, symboliques) pour faire valoir ses préférences nationales. Cependant, plus on s’éloigne de Bruxelles (vers l’état-major de l’opération militaire et plus encore vers le terrain), plus les militaires, principaux acteurs concernés, développent des pratiques communes qui se superposent à leurs singularités et préférences nationales. Le contexte opérationnel du maintien de la paix génère des dynamiques de socialisation et d’apprentissage qui favorisent l’émergence d’usages communs de l’Europe militaire. Ces usages constituent les fondements d’une approche « européenne » du maintien de la paix, combinaison hybride de pratiques importées d’autres contextes (national, OTAN, ONU), et de pratiques nouvelles, spécifiques à l’UE. Cependant, cette européanisation sociologique demeure essentiellement au niveau des militaires. Elle n’entraîne pas de convergence au niveau formel, politique et décisionnel, où les dynamiques nationales restent dominantes. /

This dissertation is about European Union-led military operations and their effects on two issues: processes of Europeanization and the evolution of peacekeeping. For rational choice scholars, Europeanization reflects the preferences of Europe’s main powers, which impose those preferences on other states, especially when it comes to defence policies. On the opposite, constructivists argue that handling international crises collectively results in adaptations and a certain rapprochement of national ways to do things.

To sort out this debate, this research puts forward and defends a sociological approach to EU military operations, which is inspired by the practice turn in international relations and usages of Europe in European studies. This approach emphasizes the context of interaction, actors’ social strategies, and the merits of an interpretive method grounded in actors’ experiences. The empirical demonstration rests upon a qualitative and comparative analysis of two most different cases: French and Irish actors during the military operation EUFOR Tchad/RCA, in which they got involved.

The research concludes that Europeanization is not a linear and homogenous phenomenon, and that its shape mostly depends on the context and actors under scrutiny. At the political and decisional level (in Brussels), national logics prevail, and each actor tries to take advantage of its opportune resources (material, ideal, symbolic) in order to enforce its national preferences. However, the further one moves away from Brussels (towards the operation’s headquarters or the field), the more military actors – the main actors concerned with EU operations – develop common practices that come on top of their national singularities. The operational context of peacekeeping yields dynamics of socialization and learning, which themselves make common usages of military Europe possible. These usages make up the grounds of a “European” approach to peacekeeping, which is a hybrid combination of existing practices imported from other contexts (national, NATO, UN) and new, EU-specific practices. However, this Europeanization tends to remain mostly at the military’s level. It does not bring about convergence at the formal, political and decisional level, where national dynamics still prevail.