Résumé : Les radiations ionisantes sont une cause établie de cancers de la thyroïde mais un nombre croissant de travaux évoque aussi le rôle potentiel du peroxyde d’hydrogène (H2O2) dans la pathogenèse des cancers thyroïdiens spontanés. Si les cassures double-brin de l’ADN (DSBs) sont considérées comme l’une des causes primaires de cancer, leur induction par l’H2O2 était plus controversée.

Lors de ce travail, nous avons voulu tester in vitro, dans différents modèles thyroïdiens, l’hypothèse selon laquelle l’H2O2 produit en grandes quantités in vivo pour oxyder l’iodure et synthétiser les hormones thyroïdiennes pouvait endommager l’ADN.

Les dégâts provoqués à l’ADN ont été évalués par le test des comètes (en milieu alcalin pour les cassures simple-brin (SSBs) et en milieu neutre pour les cassures double-brin de l’ADN) et quantitativement comparés à ceux produits par l’irradiation.

Nous avons montré dans une lignée cellulaire thyroïdienne de rat (PCCl3) que des concentrations non létales d’H2O2 (0.1 – 0.5 mM) tout comme l’irradiation (1 - 10 Gy) provoquaient une augmentation dépendante de la dose du nombre de SSBs et de DSBs.

L'induction de DSBs a été confirmée par la mesure du taux de phosphorylation de l’histone H2AX sur Sérine 139. L’induction de DSBs par l’H2O2 a également été observée dans des cultures primaires de thyroïdes humaines et dans des tranches de thyroïde de porcs.

L’utilisation de L-buthionine-sulfoximine (BSO), un agent qui empêche le renouvellement du glutathion cellulaire, a conduit à un abaissement du seuil d’observation des cassures de l’ADN induites par l’H2O2.

Nous avons également observé que les dommages de l’ADN étaient réparés plus lentement lorsqu’ils étaient provoqués par l’H2O2 plutôt que par l’irradiation.

Dans un second temps, nous avons exploré au niveau moléculaire les conséquences d’une exposition à 1 Gy d’irradiation γ ou à une concentration non létale d’H2O2 (0.05 – 0.2 mM) dans des cultures primaires de thyroïdes humaines et dans des lymphocytes T issus d’un même donneur. Nous avons étudié par micro-arrays les modifications du profil d’expression génétique de ces 2 types cellulaires afin de caractériser la spécificité de la réponse transcriptionnelle en fonction de la nature de l’agression, du type et de l’importance du dommage engendré ainsi que du type cellulaire.

Les 2 types cellulaires répondent de manière similaire à l’irradiation en termes de nombre de gènes régulés, avec un large recouvrement de réponses transcriptionnelles caractérisées par une forte sur-représentation de gènes impliqués dans l’apoptose et dans la réparation des dommages de l’ADN.

En revanche, la réponse transcriptionnelle à l’H2O2 est différente dans les 2 types cellulaires.

D’une part, les lymphocytes T qui montrent un dommage à l’ADN pour de plus faibles concentrations d’H2O2 que les thyrocytes présentent une réponse transcriptionnelle 1000 fois supérieure à celle observée dans les thyrocytes. D’autre part, les quelques gènes régulés dans les thyrocytes ne le sont pas dans les lymphocytes T. Il s’agit de gènes impliqués dans la défense contre les espèces réactives de l’oxygène (ROS). Ces résultats suggèrent l’existence de mécanismes de protection anti-oxydante spécifiquement développés dans les cellules thyroïdiennes.

En conclusion, ce travail a montré que l’H2O2, à des concentrations non létales, provoque des SSBs mais également des DSBs dans différents modèles thyroïdiens in vitro. La quantité de DSBs produite par l’H2O2 est comparable à celle observée après irradiation mais la vitesse de leur réparation est plus lente. D’autre part, en comparaison avec les lymphocytes T, les thyrocytes semblent particulièrement résistants aux effets de l’H2O2 et dotés de mécanismes de protection particulièrement performants et probablement partiellement inductibles contre les ROS.

Ces données soutiennent notre hypothèse de départ selon laquelle la production d’H2O2 dans la thyroïde pourrait jouer un rôle dans l’étiopathogénie des tumeurs thyroïdiennes, en particulier en cas de défenses anti-oxydantes altérées.