Résumé : Les personnes âgées représentent de nos jours une proportion importante de la population, proportion qui augmentera encore dans les futures années. Face aux défis que soulève le vieillissement de la population en termes de santé publique, nous avons abordé dans ce travail trois thématiques de recherche : 1. la perception que les personnes âgées ont de leur santé (santé subjective); 2. la problématique des chutes; 3. les aspects méthodologiques et les spécificités qui peuvent être liés à la réalisation d’études chez les personnes âgées. Dans le cadre de ce travail, nous avons réalisé d’une part une étude de synthèse de la littérature biomédicale (concernant les facteurs influençant la santé subjective globale des personnes âgées) et d’autre part une analyse des données issues de deux études : l’enquête « Qualité de vie après 65 ans » (Belgique - 1994 à 1997) et l’enquête « Chutes chez les personnes âgées à Fontaine l’Evêque » [Fontaine l’Evêque (ville belge wallonne semi-rurale) – 2006]. Nous nous sommes intéressés aux personnes âgées de 65 ans et plus, vivant à domicile et ne souffrant pas de certains problèmes ou pathologies en particulier. Nous avons privilégié une approche positive de la santé qui prenait en compte des facteurs reliés à différents domaines, et non pas uniquement des facteurs reliés aux aspects fonctionnels et de morbidité.

Notre premier objectif général était de décrire et d’identifier quels facteurs influencent la santé subjective des personnes âgées non-institutionnalisées. Il est tout d’abord intéressant de noter qu’une proportion importante de personnes âgées non-institutionnalisées (entre 50 à près de 80% selon les études) évalue sa santé de manière positive, alors qu’une part non négligeable des études s’intéresse plutôt à ce qui est associé à une mauvaise santé perçue. Ensuite, les facteurs influençant la santé subjective, facteurs mesurés de manières diverses selon les auteurs, sont nombreux. La morbidité et le statut fonctionnel jouent un rôle. D’autres facteurs, hors du champ biomédical, interviennent également. On peut citer certaines caractéristiques sociodémographiques, comme l’âge, le sexe, le niveau socio-économique (en particulier le niveau d’instruction), le statut marital, les conditions de résidence ou l’origine ethnique. Certaines variables relatives à la santé mentale ont aussi une influence, de même que certains aspects du support social. D’autres types de facteurs, comme les difficultés de vision ou d’audition, l’indice de masse corporelle, ou certains comportements tels que le tabagisme ou la consommation d’alcool, doivent aussi être considérés. Ainsi, par rapport à la perception que les personnes âgées ont de leur santé, si certains éléments comme l’âge ou le sexe ne sont pas modifiables, il y a néanmoins des éléments sur lesquels on peut agir pour améliorer cette perception. Il est par exemple important d’être attentif à la présentation par les personnes âgées de symptômes de types dépressifs, et de sensibiliser les professionnels de la santé à les rechercher, les prendre en charge et à en identifier les causes. Encourager la pratique d’une activité physique adaptée ou le développement d’activités sociales répondant aux envies des personnes âgées et se déroulant dans des lieux sûrs et accessibles peut aussi être utile, de même que lutter contre l’isolement des personnes. Corriger d’éventuelles difficultés de vision ou d’audition peut aussi être bénéfique. Réfléchir et garantir l’accessibilité à ce type de soins pour les personnes âgées est donc essentiel.

Notre deuxième objectif général était d’analyser, d’un point de vue épidémiologique, la problématique des chutes chez les personnes âgées vivant à domicile. Celles-ci touchent au moins un tiers des personnes âgées de 65 ans et plus chaque année. Elles relèvent de multiples facteurs de risque, qui peuvent être regroupés en quatre catégories : 1. des facteurs biologiques, médicaux, psychologiques, fonctionnels, reliés à la mobilité et sensoriels, 2. des facteurs comportementaux, 3. des facteurs environnementaux, et 4. des facteurs socio-économiques. Les chutes se passent le plus fréquemment dans l’environnement domiciliaire des personnes, lors d’activités fréquentes et habituelles de la vie quotidienne. Le plus souvent, elles sont liées à des glissades ou des trébuchements. Elles peuvent avoir des conséquences importantes, dont des lésions corporelles, souvent mineures, mais parfois graves également. Un recours aux soins peut aussi suivre la chute, celui-ci pouvant engendrer des coûts considérables. Les chutes peuvent de plus causer des détériorations fonctionnelles parfois sérieuses, et de là altérer l’autonomie des personnes, leur qualité de vie, et entraîner leur institutionnalisation. Des répercussions ou difficultés psychologiques peuvent aussi survenir, dont la peur de tomber et la restriction d’activités par peur de tomber. La peur de tomber et la restriction d’activités par peur de tomber sont fréquentes, touchant jusqu’à 60% des personnes âgées pour la peur de tomber et autour de 40% des personnes âgées pour la restriction d’activités. Elles concernent des activités importantes du quotidien et touchent les chuteurs mais aussi les non-chuteurs. Il est donc important de sensibiliser les personnes âgées à la problématique des chutes et à sa prévention, ce avant même la survenue de la première chute ou d’une chute aux conséquences sérieuses. Il est aussi nécessaire d’attirer l’attention des professionnels de la santé travaillant avec des personnes âgées sur cette problématique, sur le fait qu’un certain nombre de chutes ne sont pas rapportées, et sur l’importance de la peur de tomber et de la restriction d’activités conséquente. Il nous semble par ailleurs utile d’aborder directement avec les personnes âgées l’existence éventuelle de cette peur ou de cette restriction d’activités, sachant qu’un certain nombre de celles-ci peuvent être réticentes à les évoquer spontanément. La multifactorialité des chutes souligne par ailleurs l’implication nécessaire, pour sa prévention et sa prise en charge, de professionnels de différents domaines, que ce soient des médecins, des kinésithérapeutes ou des architectes par exemple.

Notre troisième objectif général était d’examiner les questions et aspects méthodologiques pouvant être reliés à la réalisation d’études auprès de personnes âgées. Tout d’abord, les personnes âgées peuvent présenter différents types de troubles (troubles cognitifs, visuels, auditifs, physiques ou fonctionnels) qui peuvent interférer à divers niveaux de la réalisation des études. Nous avons examiné les éventuelles différences dans les facteurs influençant la bonne santé subjective selon que l’on excluait ou non les personnes présentant des troubles cognitifs. Nous n’avons pas observé de différence importante dans ces facteurs. Comme recommandé par certains auteurs, nous pensons cependant qu’il est important d’évaluer le statut cognitif des personnes, même si cela ne constitue pas l’objectif premier des études menées. Nous ne préconisons pas d’exclure d’office des études les personnes présentant ce type de troubles mais bien de tenir compte du statut cognitif des personnes et de l’influence que celui-ci peut avoir sur les résultats observés. Ensuite, dans un certain nombre de cas lors d’études auprès de personnes âgées, il peut être nécessaire de recourir à l’assistance de proxies, c’est-à-dire de personnes répondant à la place d’une autre personne. Nous avons dans notre travail observé que le fait qu’une personne se fasse aider pour répondre à un questionnaire était associé à une fréquence rapportée plus élevée de la restriction d’activités par peur de tomber, et cela même après prise en compte de possibles co-variables. Ainsi, si le recours à un proxy s’avère nécessaire, il est important d’en tenir compte dans l’interprétation des résultats sachant que, pour pouvoir examiner l’influence des proxies sur les résultats observés, il est nécessaire de recueillir un certain nombre d’informations (caractéristiques des proxies, caractéristiques des personnes concernées, …). Il faut également garder à l’esprit que l’influence des proxies peut se marquer même si ceux-ci interviennent uniquement en fournissant une aide ponctuelle ou minime pour remplir les questionnaires. Les non-réponses, les valeurs manquantes et les déperditions de personnes lors d’études longitudinales peuvent également constituer un problème non négligeable dans la population âgée. La question de la fiabilité des informations données par les personnes âgées peut aussi être posée. D’autres aspects méthodologiques doivent être considérés, que ce soient des aspects en lien avec la construction des questionnaires, la manière dont le recrutement des personnes est effectué, le consentement informé recueilli, ou les préoccupations spécifiques que les comités d’éthique peuvent avoir par rapport à la population âgée. De plus, la réalisation d’études auprès de personnes âgées en maison de repos ou en hôpital présente également certaines spécificités. Enfin, il semble utile de former les enquêteurs aux caractéristiques liées à la réalisation d’enquêtes dans la population âgée. Un certain nombre de considérations et spécificités méthodologiques doivent donc être prises en compte lors de l’élaboration, la planification et la mise en œuvre d’études auprès de personnes âgées, études dont le nombre sera fort probablement amené à augmenter dans les futures années. En outre, nous avons noté, au fil de notre travail, une grande hétérogénéité dans les données collectées et/ou la manière de les catégoriser, ce qui rend la comparaison et la mise en commun des résultats parfois difficiles. Il nous semble donc important de veiller à une meilleure uniformité dans les données collectées, en tenant cependant compte des contextes et des spécificités culturelles, qui peuvent faire varier la manière dont on mesure un même élément ou un même concept.

Pour conclure, que nos résultats concernent la santé subjective ou la problématique des chutes, ceux-ci montrent la nécessité d’approcher la personne âgée et sa santé de manière globale, sans se limiter aux aspects uniquement médicaux ou fonctionnels. Il est par ailleurs important d’aborder la santé de cette population de manière positive et de sortir de l’idée préconçue que les personnes âgées sont nécessairement et inévitablement des personnes malades ou en mauvaise santé. Une part non négligeable de celles-ci évaluent en effet leur santé de manière positive. De plus, des pistes existent, que ce soit pour améliorer la perception que les personnes âgées ont de leur santé ou pour prévenir les chutes par exemple. Par rapport à cette approche globale et positive de la santé de la population âgée, il est intéressant de s’interroger sur l’application de celle-ci dans la prise en charge au quotidien des personnes âgées et également d’en tenir compte dans l’élaboration des politiques qui leur sont destinées. Des pistes de recherche restent à explorer et la confrontation de certains de nos résultats à des données plus actuelles serait utile. De même, il serait intéressant d’élargir nos recherches au contexte des pays en développement, étant donné le vieillissement rapide de la population auquel ceux-ci devront faire face.