Résumé : Contexte - Considérées comme un progrès thérapeutique notable en cancérologie, les thérapies ciblées ne sont pas sans effet secondaire, en particulier sur le plan dermatologique. Très peu de données sont actuellement disponibles quant à leurs retentissements sur la qualité de vie des patients. Le service de dermatologie de Gustave Roussy a développé un protocole de recherche prospectif (SKINTARGET) consacré à cette thématique afin de pouvoir proposer des mesures préventives et/ou curatives adaptées. Inscrite dans ces travaux, notre thèse avait pour objectif principal de décrire les changements observés du point de vue de l’état émotionnel, de l’image corporelle et des interactions sociales avec l’apparition des atteintes cutanées, en s’intéressant à la place des représentations associées au traitement dans le processus d’ajustement des patients à ces symptômes.

Méthode - Il s’agissait d’une étude comprenant quatre temps d’évaluation (initiation du traitement, un, deux et trois mois après), qui associait de façon concomitante deux modes d’évaluation : quantitatif (questionnaires : IPQ-R, DLQI, POMS, BDI-II, QIC) et qualitatif (entretiens semi-directifs). L’inclusion était proposée par les oncologues aux patients allant débuter un traitement par thérapie ciblée. Les analyses statistiques ont été menées à partir du logiciel SPSS version 14.0 ; les analyses des entretiens ont combiné méthode thématique et méthode par questionnement analytique, en s’appuyant sur le modèle théorique de Pedinielli.

Résultats - Quatre-vingt-deux patients ont donné leur accord pour la recherche biomédicale, 62 d’entre eux ont accepté de participer à l’étude psychologique. La partie quantitative a été complétée par 33 patients, pour moitié hommes (âge moyen 56 ans), soignés pour un cancer métastatique cutané, pulmonaire, rénal ou thyroïdien. L’échantillon comptait une majorité de personnes en couple, avec enfants, soit à la retraite soit en arrêt de travail. Quatre-vingt-quatorze pour cent a développé au moins un des principaux symptômes suivants : rash cutané, syndrome main-pied, alopécie ou photosensibilité. Les changements observés ont été un inconfort physique et une gêne à la réalisation des activités du quotidien. Aucun signe de perturbation de la sphère émotionnelle, de l’image du corps et des relations sociales n’a été mis en évidence au cours des trois premiers mois de traitement. Les symptômes dermatologiques ont majoritairement été rattachés par les patients à l’action du traitement, sans être interprétés comme signes de son efficacité. La représentation d’un médicament contrôlant la maladie a émergé comme un des facteurs significativement associés aux variations de l’impact des toxicités cutanées sur la qualité de vie.

La partie qualitative a concerné 41 patients, dont les caractéristiques médicales et socio-démographiques étaient très similaires à celles de l’échantillon quantitatif. Pour une majorité les effets secondaires dermatologiques ont été « embêtants », « gênants », quelquefois « impressionnants », voire « perturbants » lorsqu’ils entraînaient douleurs, difficultés à la mobilité ou troubles du sommeil, mais sont restés « gérables, supportables ». Les représentations associées au traitement, très positives, sont apparues comme un élément soutenant dans l’ajustement des patients. Du discours des patients en souffrance psychologique sont ressorties une défiance vis-à-vis du regard d’autrui et une impossibilité d’amorcer le travail de renoncement nécessaire à l’intégration des transformations liées au cancer et à ses traitements. L’origine de cette souffrance serait un débordement des défenses psychiques par une angoisse de mort : la difficulté pour restaurer l’état d’équilibre psychique antérieur provenant de l’activation concurrentielle de deux dynamiques, l’une surnommée « substantielle », l’autre « identitaire ».

Discussion - Ces résultats rejoignent les données de la littérature en concluant à un impact d’intensité faible à modérée des toxicités cutanées sur la qualité de vie pour une majorité de patients. Contrairement à ce qui était attendu, il n’a pas été observé de changement sur le plan de l’état émotionnel, de l’image corporelle et des interactions sociales. L’investissement positif du traitement, la réappréciation des valeurs, le très bon état général des patients et l’optimisme ont été évoqués pour expliquer non seulement l’absence de perturbation, mais aussi les très bas niveaux d’anxiété, de tristesse et de fatigue globalement rapportés. L’importance de l’encadrement soignant et médical a également été soulignée parce qu’il sécurise les patients en anticipant les difficultés, en informant et en proposant une prise en charge suivie.

Conclusion - Le développement croissant des thérapies ciblées devrait s’accompagner d’un renforcement des mesures de prévention et de prise en charge des effets secondaires dermatologiques, qui requiert formation et sensibilisation des acteurs de soin à cette problématique, en rappelant la dimension singulière du vécu de chaque patient et l’impossibilité de le réduire à l’observable médical.

Background - Considered as a significant therapeutic progress in cancer, targeted agents are not without side effects, particularly dermatological ones. Very little information is presently available about their consequences on patients’ quality of life. The dermatological team of Gustave Roussy has developed a prospective research (SKINTARGET) in order to provide preventive and curative adapted care. Integrated into this work, our thesis aimed to describe the psychosocial changes occurring with cutaneous toxicities and to explore the implication of treatment representations in the patient’s adjustment process.

Methods - The study included four phases of evaluation (treatment initiation, one, two and three months after) and used simultaneously two methods: a quantitative one (questionnaires: IPQ-R, DLQI, POMS, BDI-II, BIQ) and a qualitative one (semi-structured interviews). The inclusion was proposed by oncologists to patients who were about to start a targeted therapy. Statistical analyzes were conducted with SPSS 14.0 software; analyzes interviews combined thematic approach and analytical questioning methods and referred to the Pedinielli’s theoretical model.

Results - Eighty- two patients gave their consent for biomedical research, 62 of them agreed to participate to the psychological study. The quantitative part was completed by 33 patients (50% men, mean age 56 years) treated for metastatic skin, pulmonary, renal or thyroid cancer, who were mostly in a relationship with children, either retired or stopped working. Eighty- four percent developed at least one of the following main symptoms: skin rash, hand-foot syndrome, alopecia or photosensitivity. The observed changes were characterized by a physical discomfort and difficulties in the activities of daily life. No sign of disturbance was noted in emotional domain, body image or social relations during the first three months of treatment. Dermatological symptoms were mainly related by patients to treatment action, without being interpreted as an evidence of its effectiveness. The representation of a drug controlling the disease was significantly associated with a lower impact of skin problems on the quality of life.

The qualitative part included 41 patients. Medical and sociodemographic characteristics were very similar to those of the quantitative sample. For most people, dermatological side effects were "boring", "uncomfortable", sometimes "impressive" or "disturbing" when they were associated with pain, mobility difficulties or sleeping troubles, but remained "manageable, bearable". The very positive treatment representations appeared as a supporting element in patients’ adjustment. Psychological distress seemed appear when patients feared being stared by others and failed to engage themselves in the renouncement work which is needed to adjust oneself to the transformations related to cancer and its treatments. In such situation psychological distress was supposed to come from an overflow of the psychic defences by a fear of death; the difficulty to restore mental balance would be explained by the activation of two competitive dynamics, which struggle for the organism and the identity survival.

Discussion - These results are consistent with the literature data. The skin toxicities impact on quality of life is mild to moderate for a majority of patients. Contrary to our expectations, there was no evidence of change in the domains of emotions, body image and social interactions. The positive investment of treatment, a reassessment of values, the very good physical state of patients and the influence of optimism in patients state of mind have been cited to explain not only the absence of disturbance, but also the very low levels of anxiety, sadness and fatigue generally reported. The importance of the caregiving provided by health professionals was also highlighted: anticipating difficulties, giving information about side effects and effectively managing problems secure patients.

Conclusions - The growing development of targeted therapies implies strengthening prevention and management of dermatological side effects. Moreover, it requires to aware and to train more health professionals to this problem, recalling the singular dimension of each patient which can not being reduced to the medical observable.