Résumé : La septicémie associée à un cathéter de voie centrale (central line-associated bloodstream infection, CLABSI) est la cause la plus fréquente d’infection nosocomiale aux soins intensifs et entraine une morbidité significative, un allongement des durées d’hospitalisation et un accroissement des coûts. La maîtrise des CLABSI est une préoccupation permanente dans les institutions hospitalières.

Les staphylocoques à coagulase négative (SCN), et en particulier Staphylococcus epidermidis, colonisants de la peau, sont parmi les agents pathogènes opportunistes les plus fréquemment impliqués dans les infections de matériel étranger comme les cathéters, grâce à leur capacité à produire un biofilm.

Dans un travail préliminaire sur la prise en charge des septicémies sur cathéters à chambres implantables, nous avons observé qu’un tiers des septicémies dues à des SCN se solde par le retrait du cathéter et que la sévérité des présentations cliniques est très variable. Nous avons suspecté que des facteurs liés à S. epidermidis lui même pouvaient jouer un rôle dans la sévérité de la présentation clinique et le succès ou l’échec thérapeutique.

Objectifs :

Ce travail de thèse a pour but d’approfondir les connaissances nécessaires à la maîtrise de la septicémie sur cathéter à S. epidermidis. Il a été développé sur deux axes principaux : (1) une recherche sur les facteurs liés au pathogène, basée sur l’étude phénotypique et génotypique des différences entre les S. epidermidis provenant de trois sous-populations (volontaires sains - personnel soignant - patients avec CLABSI) et sur la compréhension de la source à l’origine de la contamination (peau du patient versus personnel soignant); (2) une approche clinique opérationnelle sur les aspects de prévention et de surveillance des CLABSI.

Méthodes :

Nos travaux de recherche ont porté sur l’épidémiologie moléculaire des S. epidermidis (pulsotypie, PFGE et multi-locus sequence typing, MLST), sur leur antibio-résistance (phénotypique et génotypique), sur la détermination du type de cassette mec (SCCmec typing), sur l’identification de facteurs de virulence [ACME (arginine catabolic mobile element) et ica (intercellular adhesin)] et sur la recherche de la production de biofilm in vitro dans les sous-populations étudiées.

Nous avons également discuté les limites des définitions des CLABSI dans une étude comparative et avons investigué, dans une étude multicentrique, la prévention des CLABSI par un programme de monitoring externe des processus de soins de cathéters et de feedback régulier au personnel soignant concernant leurs indicateurs de performance.

Résultats :

Facteurs liés au pathogène :

Les souches de S. epidermidis colonisant le personnel soignant sont résistantes à plus

d’antibiotiques que celles colonisant les volontaires sains (multisensibles), mais à un moins grand nombre que celles causant des CLABSI (souvent multirésistantes), à l’exception de la résistance à la méticilline.

La production de biofilm est sous la dépendance de l’opéron ica mais l’expression de ces gènes est variable, soumise à une régulation complexe. La majorité des S. epidermidis ayant une production importante de biofilm in vitro sont porteurs de l’opéron ica tandis que la majorité des S. epidermidis n’en produisant pas sont ica négatif. Par contre, nous avons observé que les souches de S. epidermidis formant un biofilm in vitro avec une biomasse importante étaient présentes dans les trois sous-populations étudiées.

Tant les S. epidermidis commensaux que ceux responsables d’infection présentent une grande diversité génétique par PFGE mais ils se révèlent, après analyse MLST, comme appartenant pour la plupart au même complexe clonal (CC).

Nous avons également montré que dans un tiers des cas, les souches de S. epidermidis récoltées sur les mains des soignants dans le même hôpital et au cours de la même période de temps, sont identiques à celles responsables de CLABSI, ce qui soutient l’hypothèse que les soignants peuvent servir de réservoir.

Cependant, les présentations cliniques les plus sévères de CLABSI sont dues à des souches de S. epidermidis appartenant à certains MLST séquences types (STs) particuliers : ST2 et SLV (single locus variant) ST54, toutes ica positives, mecA positives et multi-résistantes. Aucune souche présentant ces MLST types n’a été retrouvée sur les mains des soignants, ni chez les volontaires sains.

Surveillance et prévention :

Nous avons démontré que l’intensité de la documentation microbiologique et l’usage de définitions incluant des critères cliniques font varier les densités d’incidence de CLABSI mesurés et donc limitent l’intérêt des comparaisons inter-hospitalières.

Nous avons également démontré l’efficacité d’un programme original de prévention de type audit externe des compliances aux processus de soins des cathéters associé à un feedback régulier. En effet, nous avons observé une diminution statistiquement significative de l’incidence des CLABSI dans les unités de soins intensifs mais nous avons également identifié les limites de cette approche.

Conclusion :

La septicémie sur cathéter due à S. epidermidis peut être contrôlée par un programme de prévention en diminuant les risques de contamination tant endo- qu’extra-luminale. Cependant, certains clones de S. epidermidis (ST2 et ST54) particulièrement adaptés à l’environnement hospitalier, combinant virulence et multi-résistance, sont responsables de présentations cliniques sévères de CLABSI. De nouvelles approches basées sur les caractéristiques des souches pathogènes de S. epidermidis et sur la sévérité de la présentation clinique de la CLABSI pourraient permettre le développement de stratégies de prévention et de traitement plus ciblées.