Résumé : Ma thèse de doctorat a poursuivi un double objectif : d’une part, présenter la situation des personnes souffrant de troubles mentaux face à certains mécanismes d’exclusion et d’inclusion engendrés par le droit et, d’autre part, approfondir l’examen du caractère idéologique des droits fondamentaux, plus spécifiquement du droit au travail. L’hypothèse générale est que la personne malade mentale serait exclue du bénéfice ou aurait le bénéfice de certains droits fondamentaux non pas en raison principalement des conséquences concrètes de son état mental sur sa situation individuelle, mais surtout en raison de l’idéologie dominante des droits fondamentaux.

Les deux premières parties de la thèse comportent une analyse de la réglementation du chômage et de la législation relative au droit à l’intégration sociale. Dans ces deux premières parties, j’ai analysé les conditions d’octroi de l’assurance chômage et du droit à l’intégration sociale et ai examiné dans quelle mesure les allocataires souffrant de troubles mentaux sont accompagnés dans leur recherche d’emploi par les services régionaux de l’emploi et les centres publics d’action sociale (CPAS). Les évolutions qui ont marqué ces domaines au cours des dernières années en Belgique révèlent que loin d’être uniquement un individu totalement exclu du droit au travail, la personne souffrant de troubles mentaux devient progressivement un sujet du droit au travail. Cette transformation de la représentation de la personne souffrant de trouble mentaux est plus marquée dans le domaine de l’assurance chômage, mais influence progressivement les acteurs de l’aide sociale, plus particulièrement en Flandre.

La troisième partie propose une grille d’analyse du caractère idéologique du droit. Dans cette optique, j’ai développé les concepts d’exclusion et d’inclusion juridique qui ont pour but d’analyser l’idéologie des dispositifs de restriction ou d’extension d’un droit fondamental, qu’ils soient explicites (en étant prévu dans un texte juridique) ou implicites (en étant la résultante du silence du texte ou d’une pratique informelle des autorités publiques). Ensuite, j’ai dégagé des deux premières parties de la thèse six dispositifs spécifiques : trois cas d’exclusion juridique de la personne souffrant de troubles mentaux et trois cas d’inclusion juridique. J’ai retracé les justifications qui ont conduit les autorités publiques à élaborer (ou non) certains dispositifs et ce faisant, à diminuer ou à accroître le champ d’application du droit au travail des personnes souffrant de troubles mentaux.

Pour ce faire, je me suis appuyée sur la théorie des justifications du sociologue L. Boltanski et du sociologue et économiste L. Thévenot. L’exploration des justifications a permis de confirmer mon hypothèse : l’évolution des représentations dominantes de la personne souffrant de troubles mentaux reflète l’évolution de son droit au travail. L’analyse idéologique des dispositifs d’exclusion et d’inclusion juridiques a revélé que, malgré sa faible effectivité, le droit au travail est fréquemment mobilisé par les autorités juridiques, en particulier lorsqu’elles évoquent des valeurs d’ « efficacité » ou « d’intérêt général ». Les autorités publiques insistent généralement sur l’accès au travail des personnes souffrant de troubles mentaux et non sur les autres dimensions du droit au travail, telles que le droit à une rémunération ou à des conditions de travail équitables. Mon hypothèse n’a, par contre, pas pu être strictement confirmée dans les domaines où la représentation de la personne souffrant de troubles mentaux est plus effacée. Ce silence juridique ne signifie pas que l’idéologie est absente de ces domaines ; celle-ci ne vise cependant pas à offrir une représentation spécifique de la personne souffrant de troubles mentaux et il est donc plus délicat de l’identifier.