Thèse de doctorat
Résumé : La manière dont le processus de construction étatique et nationale se déroule, influence le processus de développement d’un pays. Idéal type d’une construction imaginée, le Libéria et les Libériens ont été au centre de notre analyse. L’intérêt pour ce sujet découle : - de notre mécontentement vis-à-vis du postulat de l’inexistence sociologique de la nation libérienne et de la faiblesse du projet national Libéria énoncé par plusieurs auteurs mais aussi - de la méconnaissance par les élites nationales de leurs propres concitoyens, de leurs aspirations, peurs et espérances, soit des prérequis indispensables pour mettre en place un projet de construction nationale, étatique et de développement cohérent et inclusif. Nous avons voulu écouter le peuple et rapporter des sources primaires recueillies sur le terrain pour rendre compte sur ces processus tout en réalisant une analyse documentaire approfondie de la question. Au Libéria, après les années sombres des guerres civiles, la construction d'un nouveau type d'État démocratique et libéral, capable d'incorporer toutes les composantes nationales, s’appuyant sur une identité suprême partagée, a été prônée. Mais avant de reconstruire un pays, on doit solidifier la nation. L’ancienne conception d'État et de nation centralisée et limitative doit laisser place à une conception nouvelle intégrative et ouverte, basée sur l’histoire et le vécu de tous les Libériens. A travers cette étude, nous avons cherché à identifier, dans l’imaginaire individuel et collectif, qui sont les Libériens d’aujourd’hui ? Qu’est-ce être Libérien ? En observant, chez eux, l’absence ou la présence d’une adhésion au projet national libérien et ses facteurs explicatifs. Les réponses fournies par nos interlocuteurs seront utiles à tous ceux qui veulent travailler pour la réinvention du Libéria après l’époque du nationalisme ethnocentrique, de la destructrice et meurtrière guerre civile et du difficile démarrage national en après-conflit. La démocratisation du pays a été aussi porteuse d’un projet citoyen qui suppose des droits et des obligations. L’existence d’un fort sentiment d’identification et d’appartenance à un espace donné contribue au renforcement de la démocratie, avec une influence forte sur le développement du pays. L’expérience a montré que les nations se fortifient surtout dans un cadre démocratique et constitutionnel. L’analyse du contenu de la littérature géopolitique et sociale du pays nous a révélé comment l’identité nationale (que nous nommons ici « la libérianité ») s’était construite à

4

travers les étapes historiques du pays et le résultat de notre enquête de terrain nous indique comment elle a évolué. Ensuite, nous avons établi le contour de la « libérianité » telle qu’elle est vécue et définie, aujourd’hui, par ceux qui s’identifient comme Libériens. Nous avons aussi constaté l’existence d’une adhésion à l’identité nationale libérienne et au projet national libérien, assumée par - et dont s’est appropriée - une majorité écrasante des individus, indépendamment de leurs identifications assumées ou assignées. Cette adhésion est moins due au facteur ethnique qu’à de facteurs historiques, culturels, linguistiques, sécuritaires, de reconnaissance et valorisation personnelles, d’inclusion et exclusion. L’identité nationale libérienne est définie à partir des référents historiques, culturels (traditions, danses, fêtes, chants, coutumes), linguistiques et sécuritaires, de reconnaissance et valorisation personnelles. L’adhésion au projet national libérien est soutenue par les éléments constitutifs de l’identité nationale libérienne. Pour les Libériens-mêmes, l’identité nationale libérienne est une identité légitimante, une identité duale, se basant sur une culture mixte (indigène et moderne), une langue commune (l’anglais libérien) et des éléments identitaires propres qui les distinguent des autres peuples (noms, coutumes, nourriture, danses, chants, vêtements, célébrations etc.). Cette identité est une identité projet, en réinvention continue. L’attachement à la terre commune, « maman Libéria », est sentimental et instrumental. Le projet national libérien est aujourd’hui - intégré parce qu’il exprime la symbiose entre l’âme indigène et des éléments allogènes, entre la tradition africaine propre à la Côte du Poivre (Côte du Poivre) et la modernité : il se base sur l’expérience historique commune. Viennent ensuite, les facteurs sécuritaires (valorisation et protection de leurs vies, propriétés), économiques et psychologiques qui sont mobilisés pour soutenir le projet politique. Nos interlocuteurs sont réalistes, le projet national et étatique actuel présente d’innombrables limites politiques, institutionnelles, culturelles, sociales et économiques mais y adhérer leur procure la seule possibilité de se mettre à l’abri de l’arbitraire de l’homme, d’écarter le spectre d’une nouvelle guerre civile, d’accéder à la citoyenneté porteuse de valorisation personnelle et collective et à une vie épanouissante et prospère. Notre étude, par la recherche documentaire, met aussi en évidence l’évolution du caractère et du contenu de l’idée nationale libérienne, les moments et les personnages y ayant travaillé pour façonner le Libéria et les Libériens depuis 1822 à nos jours. Le Libéria, le premier État indépendant d’Afrique, a toujours eu les caractéristiques de l’étatisme, il a existé sans cesse depuis sa création, en dépit de sa nature patrimoniale et prébende. État failli durant les deux guerres civiles, le Libéria d’après 2003 est en plein processus de

5

reconstruction physique et symbolique. Par cette recherche, nous avons étudié l’État, la Nation et le développement du Libéria : plus précisément, la manière dont la mise en place de l’État libérien a influencé le développement de cet espace et le contenu de la nation libérienne, mais aussi la façon dont elle a été instrumentalisée, comment elle a évolué et influencé les processus étatique et de développement national.