Résumé : Depuis peu, un intérêt croissant est manifesté pour l’étude de la tuberculose pédiatrique ; les enfants constituent, en effet, une grande partie du réservoir des futurs cas de tuberculose active (TBA) maladie. Selon les estimations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ce réservoir est constitué par 2 milliards de personnes porteuses d’une forme latente de tuberculose (LTBI). La LTBI est définie par l’existence d’une réponse immunitaire adaptative aux antigènes de Mycobacterium tuberculosis (M.tuberculosis) en l’absence de signes cliniques de maladie. A partir de ce réservoir, 8,7 millions de nouveaux cas de TBA et 1,4 millions de décès liés à ces TBA ont été déclarés par l’OMS en 2011. On estime que la TBA pédiatrique, dont l’ampleur réelle est probablement sous-estimée, représente 9 à 12 % de tous les cas incidents.

Une meilleure coordination des efforts et leur augmentation à l’échelle mondiale, au cours de ces dernières années, a permis de réduire l’incidence de la TB en diagnostiquant, traitant rapidement et plus efficacement les TBA. Cette stratégie est insuffisante si l’objectif, comme défini par l’OMS à l’horizon de 2050, est d’éradiquer la TB. Il faudrait, pour cela, développer de nouvelles stratégies vaccinales pour améliorer l’efficacité du bacille Calmette et Guérin (BCG), mais également s’attaquer au réservoir de M. tuberculosis.

Le seul vaccin disponible, le BCG, confère une protection variable et souvent faible contre la TB pulmonaire. La stratégie, dans le développement de vaccins contre la tuberculose, est de mimer les réponses immunitaires naturelles développées par les sujets avec une LTBI puisque 90% d’entre eux sont définitivement protégés contre la maladie. Il apparaît donc important de caractériser ces réponses de l’immunité adaptative qui apparaissent lors d’une primo-infection par M. tuberculosis (avant l’état de latence) chez l’homme. L’étude de ces réponses immunitaires primaires est difficilement réalisable chez les adultes car, chez la majorité d’entre eux, les cas de TBA résultent soit d’une réactivation, soit d’une réinfection. Dans un pays à faible prévalence comme la Belgique où, par ailleurs, la vaccination par le BCG n’est pas administrée en routine, l’étude d’un « groupe modèle » constitué d’enfants exposés à M. tuberculosis est une opportunité inespérée pour caractériser la réponse immunitaire primaire spécifique. La comparaison des réponses immunitaires de primo-infection aux réponses immunitaires secondaires (enfants exposés à M. tuberculosis et précédemment vaccinés par le BCG) présente également un intérêt pour l’établissement de nouvelles stratégies vaccinales telles que le « prime-boost ». De plus, les approches vaccinales actuelles incluent préférentiellement les antigènes de la phase réplicative alors que l’ajout d’un antigène de latence pourrait induire une réponse immunitaire plus protectrice et plus complète.

Les réponses de l’immunité adaptative primaires ou secondaires des jeunes enfants dirigées contre les antigènes de M. tuberculosis sont relativement peu caractérisées si bien que les facteurs responsables de la grande susceptibilité des enfants à développer une infection sévère sont loin d’être complétement identifiés. Par ailleurs, au vu des difficultés diagnostiques de l’infection par M. tuberculosis chez l’enfant et, en particulier, de différentier les TBA des formes latentes, de nombreuses recherches sont menées pour tenter d’identifier des biomarqueurs qui pourraient aider à séparer ces deux phénotypes. En effet, la TBA pédiatrique est pauci-bacillaire, ce qui rend les moyens diagnostiques classiques comme la microbiologie et/ou la biologie moléculaire, tous deux dépendant de la charge mycobactérienne, peu sensibles. De plus, le diagnostic de la LTBI par le test cutané à la tuberculine (TCT)et les tests in vitro aujourd’hui commercialisés mesurant les sécrétions d’interféron-gamma (IFN-γ), les IGRA, ne sont pas suffisamment sensibles et spécifiques, surtout chez les enfants de moins de 5 ans.

L’étude des réponses immunitaires induites par la « Heparin-Binding Haemagglutinin » (HBHA) a été menée dans l’objectif d’améliorer la performance des techniques de laboratoire. La HBHA est une adhésine exprimée par le complexe M. tuberculosis. Elle est impliquée dans la dissémination extrapulmonaire du bacille et constitue donc un facteur de virulence. Par ailleurs, dans un modèle murin, le caractère protecteur d’une vaccination avec la HBHA contre l’infection par M. tuberculosis a également pu être démontré ; l’efficacité était comparable à celle du vaccin BCG. Si l’effet d’une telle vaccination n’a pas encore été évalué chez l’homme, l’immunogénicité de cet antigène a, par contre, pu être établie en clinique humaine. En effet, les lymphocytes circulants, isolés chez des adultes infectés par M. tuberculosis de façon latente, sécrètent plus d’IFN-γ en réponse à la HBHA que les lymphocytes des patients présen-tant une TBA non traitée. La HBHA est donc un antigène de latence puisqu’il induit une réponse immunitaire principalement pendant cette phase. De plus, la HBHA est une protéine méthylée et la méthylation s’avère essentielle pour garantir ses propriétés immuno-protectrices.

Nos travaux ont été orientés selon deux axes : d’une part, l’analyse des réponses immunitaires primaires et secondaires dirigées contre la HBHA comparées à celles induites par des antigènes spécifiques de M.tuberculosis connus et, d’autre part, l’exploitation de la réponse immunitaire à la HBHA ainsi qu’à d’autres antigènes spécifiques de M. tuberculosis dans le but de définir des biomarqueurs de susceptibilité et proposer de nouveaux moyens immuno-diagnostiques.

L’évaluation de la réponse immunitaire primaire, chez les enfants de moins de 5 ans et non vaccinés par le BCG, aux antigènes mycobactériens spécifiques démontre que la réponse IFN-γ primaire induite par la HBHA est peu élevée quantitativement chez les enfants infectés par M. tuberculosis contrairement aux réponses IFN-γ induites par les antigènes de la phase réplicative, l’ESAT-6 et le CFP-10. Cette faiblesse de la réponse immunitaire, de type TH1, vis–à-vis de la HBHA, n’est pas due à une immaturité du système immunitaire des jeunes enfants ni à un shift des réponses vers un profil cytokinique de type TH2. Elle reflète pro-bablement le phénotype clinique de l’infection affiché par ces jeunes enfants récemment infectés par M. tuberculosis qui ne sont pas encore parvenus au stade de latence. Cette faible réponse pourrait, néanmoins, constituer un biomarqueur de susceptibilité accrue à la TB des jeunes enfants. De plus, si la réponse primaire HBHA-spécifique n’est quantitativement pas différente de celle des enfants présentent une TBA ou une LTBI, elle l’est cependant qualitativement si l’on compare ces deux phénotypes cliniques. En effet, seuls les enfants «protégés» (avec une LTBI ou une TBA traitée) présentent des réponses envers des épitopes protecteurs de la forme méthylée de la HBHA. La mise en évidence de réponses contre ces épitopes de la forme méthylée pourrait donc être évaluée en tant que biomarqueur de protection. Parallèlement, l’absence ou la présence d’une telle réponse dirigée contre les épitopes de cette forme méthylée de la HBHA pourrait également permettre de différentier un enfant avec une TBA d’un enfant avec une LTBI.

La caractérisation de la réponse immunitaire se-condaire à la HBHA, chez les enfants infectés par M. tuberculosis et préalablement vaccinés par le BCG, a permis de démontrer que cette réponse est quantitativement plus importante si on la compare aux réponses de type primaire.

Puisque le caractère protecteur du BCG adminis-tré à la naissance est bien reconnu, il semblerait logique d’utiliser en priorité la HBHA dans une approche vaccinale «prime-boost », c’est-à-dire une amplification par la HBHA d’une immunité «protectrice» déjà acquise lors de l’administration du vaccin BCG dans l’enfance.

L’exploitation de l’analyse des réponses immuni-taires induites par les antigènes spécifiques de M. tuberculosis, l’ESAT-6, le CFP-10 et la HBHA, a ensuite permis d’établir que la réponse IFN-γ induite par la HBHA est faible chez l’enfant et non discriminante entre une TBA et une LTBI, ce qui limite l’intérêt diagnostique de la HBHA chez l’enfant contrairement à ce qui a pu être observé chez les adultes. Par contre, les résultats des tests IGRA à longue durée d’incubation utilisant l’ESAT-6 et surtout le CFP-10 comme antigènes, peuvent apporter des arguments en faveur d’une infection par M. tuberculosis chez l’enfant et être ainsi intégrés dans la triade diagnostique utilisée par les pédiatres. En effet, la mise en évidence d’une réponse IFN-γ induite par le CFP-10 très élevée est plus souvent associée à une TBA et, en combinaison avec le TCT ou la PPD-IGRA, elle a permis d’identifier, au sein du groupe d’enfants que nous avons étudié, ceux qui présentaient une TBA.

Les tests immuno-diagnostiques in vitro et in vivo manquent de sensibilité pour le diagnostic des TBA extra-pulmonaires. Dans ces cas particuliers, l’analyse de la réponse IFN-γ par les lymphocytes isolés directement au niveau du site d’infection apparait prometteuse chez l’enfant. Parmi les TB extra-pulmonaires, l’adénite tuberculeuse est une présentation fréquente difficile à différentier cliniquement ou radiologiquement d’une lymphadénopathie causée par une autre mycobactérie non tuberculeuse comme M.avium. Souvent, le recours à une technique d’investigation plus invasive (biopsie) est nécessaire. Nous avons développé au sein du laboratoire des tests in vitro comparant la réponse IFN-γ induite par la PPD-tuberculosis et la PPD-avium. Le ratio entre ces deux réponses permet d’orienter le clinicien dans le diagnostic différentiel entre des infections induites par l’une ou l’autre de ces deux mycobactéries et permettra peut-être à l’avenir de ne pas imposer aux patients la pratique de manœuvres chirurgicales.

En conclusion, ce travail confirme que la suscepti-bilité des jeunes enfants aux formes sévères de tuberculose n’est pas la conséquence d’un « état d’immunodéficience ». Par ailleurs, ils sont ca-pables de développer une réponse immunitaire contre la HBHA, candidat pour le développement d’un nouveau vaccin ou d’une nouvelle stratégie vaccinale contre la tuberculose. Enfin, nous avons identifié de nouveaux biomarqueurs susceptibles d’aider les pédiatres à diagnostiquer et à différencier les différentes formes que peut prendre l’infection tuberculeuse chez leurs jeunes patients.