par Dessy, Clément
Editeur scientifique Posman, Sarah;Reverseau, Anne;Ayers, David;Bru, Sascha;Hjartarson, Benedikt
Référence The Æesthetics of Matter, Modernism, the Avant-garde and material Exchange, De Gruyter, Berlin/Boston, Vol. 3, Ed. 1, page (235-248)
Publication Publié, 2013
Partie d'ouvrage collectif
Résumé : Le peintre symboliste belge, Fernand Khnopff, a profondément incarné les aspirations totalisantes de l’art symboliste à la fin du XIXe siècle. La conception de sa maison-atelier dans la ville de Bruxelles ne se déploie pas seulement comme une vitrine spectaculaire, par le biais d’une forme alors sans équivalent dans la capitale belge et qui annonce à bien des égards la Sécession viennoise, mais constitue un acte à portée artistique dont la signification doit être inscrite au catalogue même de l’œuvre du peintre. Correspondant pendant plus de vingt ans pour la revue The Studio sous-titré An Illustrated Magazine of Fine and Applied Art, Khnopff se présente non seulement au public comme un peintre au sens classique du terme mais aussi comme connaisseur et promoteur des arts décoratifs. Les arguties critiques au sujet de l’attribution de la conception de la maison même à l’artiste lui-même ou bien à un architecte bruxellois peu avant-gardiste du nom de De Pelseneer n’ont pas lieu d’être ici si l’on considère l’usage que Khnopff fait de cet édifice et la façon dont il le présente entre son œuvre et ses spectateurs. Le mythe irrésolu (et vraisemblable) selon lequel le peintre aurait dessiné lui-même le bâtiment révèle une volonté de contrôle que Khnopff veut conserver sur l’image publique qu’il présente. S’il semble présenter sa maison à des amis, confrères ou mécènes pour révéler le terreau de sa création artistique, là où ses idées artistiques naissent, à la manière des associations d’écrivains qui investissent en musées des maisons de vie plébiscitées par le tourisme culturel, c’est en réalité l’inverse mouvement qui a abouti à la construction de cette maison. Condensant les traits d’un imaginaire conçu au cours des décennies qui précèdent, cette dernière devient le prolongement matériel de l’œuvre picturale de l’artiste et des nombreuses lectures et références littéraires qu’il accumulées au contact avec la génération symboliste. Elle transpose matériellement et spatialement son espace pictural et en constitue l’aboutissement même écrit le plus significatif, telle une anthologie de citations à valeur de manifeste. À l’exception d’un seul poème publié par le peintre dans la revue Pan en 1895, d’ex-libris ou de frontispices pour des ouvrages littéraires qui légitiment la présence d’écrits ou de mots à proximité de l’image ou au sein même de celle-ci, le peintre entretient avec l’écriture même un lien ambigu dont ses toiles révèlent parfois le symptôme. Pourtant très inspiré de conceptions littéraires pour délimiter ses sujets picturaux, ces derniers se révèlent volontairement cryptés et indéchiffrables. Quant à la présence de mots écrits dans ses toiles, elle y est soit tellement tronquée que le mot n’y existe plus en tant que tel (par exemple, L’Aile bleue), soit elle se révèle sous la forme d’une écriture abstraite et imaginaire (par exemple L’Art ou Des carresses), qui est donc d’autant plus cryptée. Or, c’est dans la maison même de Khnopff qu’apparaissent ses formules – lapidaires – les plus citées pour décrire son art : « Passé… futur » inscrit au pignon de la maison, « On n’a que soi », « Soi », « Tout vient à point à qui sait attendre » à l’intérieur de celle-ci, jalonnant le parcours linéaire et délimité pour le visiteur. En analysant ces écrits, nous constaterons que ceux-ci définissent la posture de l’artiste au point de vue de l’espace culturel à la fois belge et international. Au niveau national, Khnopff évite le recours à des architectes et à un style, celui de l’Art nouveau (Victor Horta, Paul Hankar, Henry Van de Velde, etc.) pour s’isoler dans un style à part sans prétention de faire école pour autant : « On n’a que soi ». Cette définition autotélique vaut par conséquent autant pour l’œuvre attachée à l’exploration de son intimité, que pour l’image que le peintre souhaite donner de son rapport au champ artistique national. Tout cela s’inscrit bien sûr dans une volonté de contrôle de son image personnelle, même si celle-ci ne correspond pas totalement à la réalité qui a permis au peintre d’émerger et de devenir célèbre. La circonscription du trajet emprunté par les visiteurs traduit également cette emprise du peintre ainsi que du désir de travestir la fonction de cette maison pour l’exégèse de l’œuvre. Le phénomène se manifeste dans plusieurs témoignages rendus (Louis Dumont-Wilden, Hélène Laillet, Maria Biermé) où les photographies reproduites d’ouvrages en ouvrages sont les mêmes et émanent de l’artiste. C’est le caractère artificiel et le mouvement d’attribution du sens à cette maison, à cet objet exemplaire d’une stratégie d’artiste, que nous souhaitons étudier dans cette contribution, aux multiples plans évoqués précédemment, à travers les restes écrits et visuels de cet immeuble aujourd’hui détruit.