par Pieret, Julien
Référence ➢ Séminaire organisé par la Chaire L. R. Wilson sur le droit des technologies de l'information et du commerce électronique et le Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal (16 février 2012: Université de Montréal - Canada)
Publication Non publié, 2012-02-16
Communication à un colloque
Résumé : Depuis plus de vingt ans, la notion de risque a rencontré un succès non démenti dans le champ des analyses de sciences sociales. On constate qu’une partie importante de ces travaux reposent sur une critique radicale portant sur la neutralité postulée des sciences naturelles et la nécessité d’un progrès technique constant. En effet, telle que conceptualisée par le philosophe et sociologue allemand Ulrich Beck, la Société du risque est une société victime du succès de sa modernité : tout se passe comme si les risques contemporains auxquels nous devrions faire face étaient en quelque sorte les produits paradoxaux des réussites de la science et de la technique dans l’identification et la gestion de risques inédits. Ce constat, ici crûment présenté, devrait aboutir, dans la perspective développée par Ulrich Beck, à une réflexivité accrue de la société vis-à-vis de ce qu’elle produit cognitivement et normativement. Cette évolution espérée repose sur la reconnaissance indépassable d’une dimension politique à toute activité scientifique, fût-elle partie du champ des sciences naturelles. En d’autres termes, et telle est me semble-t-il la fécondité subversive des travaux menés par Beck et ses disciples plus ou moins disciplinés, la doxa traditionnelle relative à la gestion opératoire du risque fondée sur la distinction binaire entre, en bref, le Risk Assesment (qui appartiendrait à la sphère scientifique) et le Risk Management (qui relèverait du système politique) renvoie à une distinction qu’Ulrich Beck et d’autres nous invitent prestement à dépasser.Les racines de ce débat dont les linéaments se prolongent jusqu’aux modalités d’élaboration et d’application de la régulation juridique du risque peuvent être identifiées dans la variété des postures épistémologiques qu’adoptent les chercheurs de sciences sociales. Succinctement présentées, ces postures s’articulent autour d’une distinction archétypale entre une approche réaliste du risque – le risque existe indépendamment des stratégies visant à l’identifier et à le gérer – et une vision constructiviste du risque – le risque n’a aucune réalité en soi ; son identification et sa gestion participent à sa co-construction. En effet, la distinction entre les rôles respectifs et par hypothèse étanches entre la sphère de la science et le système politique peut s’appuyer sur une approche réaliste du risque que l’on entend combattre ; à l’inverse, une perspective davantage constructiviste intégrera à la gestion même du risque et de ses conséquences la question de son identification. Ainsi, adopter une approche centrée sur le risque dans le design d’une politique publique et d’une régulation juridique lui étant propre aboutit à tout ou son contraire, et ce en fonction de l’épistémologie, assumée ou inconsciente, que l’on adoptera sur le risque que l’on prétend prendre en charge. En vue d’exemplifier ces considérations théoriques au regard d’un champ particulier, ma présentation s’attardera au risque délinquant et aux modalités de sa gestion par le recours de deux techniques massivement utilisées par les acteurs répressifs, à savoir la vidéosurveillance et les analyses génétiques. L’hypothèse que je formulerai consiste à considérer que la participation de ces deux techniques à la construction du risque qu’elles entendent aider à combattre est très largement occultée ; en d’autres termes, le fondement épistémologique de l’usage de ces techniques de sécurité est très clairement réaliste. Alors que l’approche orientée vers le risque peut dans certains domaines – on songe au droit de la santé ou au droit de l’environnement mais cela reste à vérifier empiriquement – aboutir à une innovation politique pouvant générer une transformation de la régulation juridique (notamment en termes d’ouverture démocratique et de réflexivité cognitive), l’implémentation d’une logique de gestion des risques dans le champ de la sécurité semble plutôt renforcer la logique ancestrale du système punitif et de la conception du crime sur lequel il repose.