par Cabay, Julien
Référence Journal des tribunaux, 2009, 6374, page (765-774)
Publication Publié, 2009
Article révisé par les pairs
Résumé : En droit positif belge, le maître de l’ouvrage ne peut agir à l’encontre du sous-traitant en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution des obligations qui lui incombent en vertu de la convention qui le lie à l’entrepreneur. D’une part, en raison du principe de relativité énoncé par l’article 1165 du Code civil, maître de l’ouvrage et sous-traitant sont tiers l’un par rapport à l’autre de sorte qu’aucune action contractuelle ne peut être intentée par le premier contre le second. D’autre part, en vertu d’un arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre 1973, l’action extracontractuelle est soumise à des conditions restrictives qui entravent largement la possibilité d’agir sur pied de l’article 1382 du Code civil.Face à cette situation d’ « immunité du sous-traitant », de nombreux auteurs ont proposé une solution, calquée sur celle développée en matière de garantie dans les ventes successives et admise de manière unanime, mais dont le fondement suscite encore des interrogations. Les justifications les plus souvent avancées pour justifier l’action du sous- acquéreur contre le vendeur originaire sont : la stipulation pour autrui implicite, la cession de créance implicite, la qualité d’ayant cause dans le chef du sous-acquéreur et la théorie de l’accessoire. Cette dernière, fondée sur l’article 1615 du Code civil, postule que les droits liés à la chose suivent celle-ci (propter rem) à titre d’accessoire. Cette solution, critiquable en matière de vente, l’est encore plus en matière de contrat d’entreprise, dont le régime ne comporte pas de disposition similaire à l’article 1615 du Code civil.Cette solution est majoritairement retenue en doctrine et par la Cour de cassation, qui l’a étendue en matière d’entreprise par un arrêt du 18 mai 2006, autorisant ainsi le maître de l’ouvrage à agir contre le fournisseur de son entrepreneur. Fondée sur l’idée de la transmission d’une chose corporelle, elle ne pouvait par contre s’appliquer à l’action contre le sous-traitant. D’autant que la Cour d’arbitrage allait considérer peu après (le 28 juin 2006) qu’il n’existe pas de discrimination entre le maître de l’ouvrage et le sous-traitant du fait que le second peut agir contre le premier (article 1798 du Code civil) mais pas l’inverse.Ayant écarté toute possibilité d’interprétation extensive de l’arrêt de 2006 de la Cour de cassation, nous avons recherché le sens de cette jurisprudence qui étendait la théorie de l’accessoire à une situation dans laquelle elle ne dispose pas d’assise légale. Nous avons supposé que la Cour de cassation était sensible à situation de groupe de contrats que constitue notre hypothèse factuelle. Ne pouvant appliquer telle qu’elle cette notion (consacrée puis rejetée en France comme fondement d’une action contractuelle directe), elle se saisit donc de la théorie de l’accessoire qui apparaît alors comme un pis-aller.Nous proposons de lui substituer une solution fondée sur l’idée d’une action directe extralégale justifiée par la situation de groupe de contrats unis par leur objet. Dans ce cas précis, l’inexécution de ses obligations par l’un des cocontractants ne produit in fine ses conséquences que dans le chef du bénéficiaire final de l’objet. Le caractère extralégal de l’action directe apparaît possible car 1) permettre au maître de l’ouvrage de saisir la créance de l’entrepreneur sur le sous-traitant n’aggrave pas la situation de ce dernier (la ratio legis de l’article 1165 du Code civil n’est dès lors pas affectée) et 2) ayant seul subi un dommage, lui seul présente l’intérêt requis pour agir, à l’exclusion de l’entrepreneur qui ne voit donc pas un actif de son patrimoine affecté au désintéressement d’un créancier particulier en violation du principe d’égalité. De manière générale, nous estimons donc qu’il est possible d’agir directement en responsabilité contractuelle entre cocontractants extrêmes lorsque les contrats sont unis entre eux par une identité d’objet pour autant que le(s) débiteur(s) intermédiaire(s) ne puissent faire valoir un droit de créance par rapport à cet objet.