Résumé : Notre thèse porte sur les interactions entre policiers et population et plus particulièrement sur l’expérience policière des pratiques interactionnelles par lesquelles les policiers et la population coordonnent leurs activités dans l’espace public, aussi dans une dimension fortuite et éventuellement non problématique.

Inscrite dans une perspective inductive et compréhensive, notre analyse se fonde sur un matériau récolté en recourant aux techniques d’observation in situ et d’entretiens informels. Les policiers qui font l’objet de cette étude appartiennent à deux groupes a priori différents dans la police locale en région bruxelloise : d’une part, les policiers patrouilleurs dont le référentiel professionnel s’inscrit dans le modèle de police traditionnel, et d’autre part, les inspecteurs de quartier dont le référentiel doit s’inspirer du modèle de police de proximité. Ce processus de recherche articulé autour d’une immersion de type ethnographique en milieu policier repose également sur la dimension réflexive de l’engagement du chercheur, ce dont nous rendons aussi compte dans notre travail.

Notre analyse des routines d’interactions des policiers et de la population s’appuie sur la sociologie de Goffman (1973, 1974, 1991). Sa théorisation des cadres sociaux nous a soutenu dans l’élaborons des outils « cadre policier » et « cadre ordinaire » pour référer aux routines d’interactions que nous distinguons. L’analyse de ces interactions s’inscrit dans la diachronie des rencontres observées. Plus concrètement, entre la première séquence de coprésence et la dernière dédiée à la séparation des participants, l’analyse porte successivement sur l’entrée en contact, les formes de la rencontre, les changements de lieux et l’imprévisibilité qui caractérisent ces interactions. Les modalités de la mise en œuvre des routines policières d’interactions révèlent alors les caractéristiques du cadre policier.

Celui-ci se manifeste à travers différents ajustements au contact du cadre ordinaire. Les attentes et les pratiques des policiers en interaction s’adaptent aux attentes et aux pratiques de la population et ce dans une relative flexibilité. Le cadre policier emboîte, tolère ou simule le cadre ordinaire. Il peut aussi faiblir devant lui ou s’imposer à lui à moins qu’in fine le cadre policier ne résiste. Toutefois cette flexibilité connaît des limites et des conditions défavorables, voire extrêmes quand les policiers sont dans l’impossibilité de mettre en œuvre le cadre policier qui dès lors ce rompt. La violence des pratiques policières est une manifestation de la rupture du cadre policier. Par ailleurs, la flexibilité du cadre policier est restreinte dans les lieux policiers tels que la voiture de patrouille et le commissariat où les procédures formelles limitent l’autonomie des policiers. En contraste, l’espace public se présente comme le lieu qui réunit les conditions soutenant la plus grande variété d’ajustements du cadre policier au cadre ordinaire, jusqu’à rendre possible des rencontres « heureuses » et spontanées.

Au terme de cette analyse, nos résultats participent de façon innovante aux discussions en sociologie policière. Car, au-delà des traditionnelles divergences entre les métiers de policier patrouilleur et de quartier, nous soulignons leurs similitudes quand leurs routines d’interactions tendent à intégrer celles de la population tout en poursuivant les objectifs institutionnels. La reconnaissance de l’engagement de la population se présente alors comme un déterminant de l’activité policière qui est davantage de nature à la soutenir qu’à la restreindre.