Résumé : Ces dernières décennies, les populations, civiles en général et professionnelles en particulier, ont été soumises à une exposition croissante aux champs électriques (EF) et magnétiques (MF) d'extrêmement basses fréquences (ELF). Différentes réponses biologiques ont été observées sur différents types de cellules et de tissus exposés à des courants et des champs ELF. Ces études permettent une meilleure connaissance de notre environnement électromagnétique mais les mécanismes biologiques précis et les implications des fréquences ELF sur la santé restent peu connus. Il est nécessaire de développer des protocoles de recherche pour répondre à ces questions. La revue exhaustive de la littérature met clairement en avant : - le manque de connaissance des mécanismes cellulaires activés après stimulation ELF;- l'importance de leur étude pour toutes recherches liées à l'utilisation de la stimulation ELF;- l'efficacité des techniques omiques qui permettent l'identification de ces mécanismes cellulaires;- l'importance du choix des modèles expérimentaux utilisés afin de faciliter l'extrapolation des résultats chez l'homme.Pour répondre à ces observations, nous avons recherché les gènes et les mécanismes cellulaires impliqués lors de la stimulation ELF sur un modèle de culture d'explants de kératinocytes humains mis en culture sur support dermique dévitalisé et stimulé par un courant électrique pulsé. Nous pensons que la recherche sur un modèle humain in vitro permet d'obtenir des résultats plus intéressants pouvant être extrapolés plus facilement aux études épidémiologiques ou cliniques.Les résultats préliminaires obtenus sur ce modèle de culture par Hinsenkamp et al. aboutissent à la même conclusion que leurs études des effets des champs sur le tissu osseux. Ils ont observés à partir de différents modèles, une maturation plus rapide de la matrice cartilagineuse associée à une accélération de l'ossification des tissus embryonnaires. Les analyses microarrays ont été réalisées sur 288 explants d'épiderme provenant de 3 cultures cellulaires indépendantes utilisant l'épiderme de 3 sujets différents. La première analyse des résultats montre que, pour un certain nombre de sondes, la valeur du taux d'expression est différente lorsque l'on compare deux à deux les conditions d'échantillonnage. Cette observation est valable pour l'évolution naturelle au cours du temps des cultures témoins (J4T/J1T : 296 sondes; J7T/J1T : 702 sondes; J12T/J1T : 1006 sondes) ou des cultures stimulées (J4S/J1T : 941 sondes; J7S/J1T : 625 sondes; J12S/J1T : 946 sondes) ainsi que pour la comparaison d'un temps stimulé à son temps témoin (J4S/J4T : 304 sondes; J7S/J7T : 220 sondes; J12S/J12T : 496 sondes).L'analyse de l'évolution des résultats au cours du temps (comparaison de Jx à J1) pour le groupe témoin et stimulé montre que, si la stimulation augmente ou diminue la régulation de certains gènes par rapport à J1 (témoin), la variation n'est généralement pas suffisante pour statistiquement inverser le sens de la régulation naturellement observée dans le temps. Seuls 3 gènes (EPS8, ADAMTS1, NOS1) ne suivent pas cette règle.De plus, la comparaison des listes de gènes aux 3 temps d'échantillonnage J4, J7 et J12, montre que 3 gènes sont systématiquement exprimés dans les trois groupes stimulés comparés à leur témoin respectif : TXNRD1, ATF3 et MME. Ils sont connus pour jouer un rôle dans la prolifération, la différenciation et la mitose. L'analyse du rôle joué par DKK1 et MACF1 au temps J4 montre que la sur-expression de DKK1 et la sous-expression de MACF1 ont pour effet l'inhibition du "pathway Wnt" ce qui provoque une diminution de la prolifération et une augmentation de la différenciation terminale. Parmi les variations intéressantes, BMP-2 est sur-exprimée au temps J12. Cette protéine est connue pour jouer un rôle important dans l'ostéogenèse, l'angiogenèse et la maturation cellulaire.Une analyse par triangulation montre que la stimulation par un courant ELF pulsé accélère la sur- ou la sous-expression de certains gènes qui, dans des circonstances normales (groupe témoin non stimulé), auraient suivi la même tendance (sur- ou sous-régulation) mais de manière plus lente. Parmi ces gènes, CHEK1, DKK1, NDRG4, SPRR3 sont connus pour jouer un rôle dans la prolifération et la différenciation; UBE2D3 est actif dans la voie de signalisation de la BMP-2; les autres gènes sont actifs dans la mitose, le développement cellulaire et la réplication de l'ADN.Nous avons ensuite utilisé des outils informatiques qui permettent une analyse sans apriori des résultats :L'analyse du graphe orienté acyclique généré par WebGestalt sur base des données de GO a mis en évidence les processus biologiques impliquant les gènes présents dans nos résultats et dont la régulation a été modifiée. Ces gènes ont des fonctions dans les mécanismes du cycle cellulaire, de la mitose, de la prolifération ou de la différenciation. Ces résultats sont cohérents avec les résultats macroscopiques précédents et les premières observations présentées ci-dessus.Pour mettre en évidence les voies de signalisation actives dans les processus biologiques, nous avons utilisé KEGG qui indique que les voies "cycle cellulaire" et "voie de signalisation de p53" utilisent un nombre statistiquement significatif de gènes présents dans nos résultats. Le cycle cellulaire et la mitose sont impliqués dans la prolifération cellulaire. La différenciation a également besoin de cette étape proliférative puisque ce sont les cellules filles qui deviendront des cellules matures. La "voie de signalisation p53" est également active dans le cycle cellulaire, la différenciation, l'apoptose et le maintien de l'intégrité cellulaire. L'analyse des voies connexes à "p53" et à "cycle cellulaire", utilisant des gènes présents dans nos résultats, a mis en avant plusieurs cascades dont certaines utilisent des gènes actuellement connus pour n'avoir de rôle que dans une seule cascade. Ces gènes sont des candidats potentiels à la fonction de marqueur de la stimulation ELF. On y retrouve entre autre FoxO : régulé par JNK (membre des MAPK), actif avec TGF-β1 dans la migration cellulaire et la diminution de l'apoptose; Jak/STAT qui active la voie "cytokine-cytokine receptor interaction" utile lors de la prolifération, différenciation, migration, apoptose et survie cellulaire; Wnt qui régule la prolifération, la différenciation ainsi que la mobilité cellulaire. D'autres voies d'intérêt mais n'utilisant pas de gène ayant une fonction unique ont été listées : PI3K/Akt, en partie régulée par la phosphorylation de FoxO, a une fonction dans la prolifération cellulaire.Les différentes analyses réalisées avec Pathway studio confirment qu'une grande majorité des gènes présents dans nos résultats sont actifs dans les processus de prolifération, différenciation, croissance cellulaire, cycle cellulaire, mitose, apoptose, migration et survie cellulaire. Plusieurs gènes et mécanismes discutés précédemment (ADAMTS1, ATF3, BMP-2, DKK1, DUSP4, MACF1, MME, PDGFRA, SFRP1, TXNRD1, WNT) ont été isolés par le programme. La recherche des mécanismes utilisant les gènes isolés lors de l'analyse par triangulation les relie à la prolifération, la différenciation, l'adhésion cellulaire, la réplication de l'ADN et la mort cellulaire.Pathway Studio nous a permis de localiser dans la cellule les protéines qui devraient finalement être traduites suite à la modification de l'expression de leurs gènes. Cette analyse permet d'étudier les interactions entre l'extérieur et l'intérieur de la cellule ainsi que rechercher les protéines stimulant un grand nombre d'autres protéines ou recevant un grand nombre de stimuli. La protéine extracellulaire Endothelin 1 (ET-1), codée par le gène EDN1, agit sur 9 protéines membranaires différentes : EGFR par l'intermédiaire de la signalisation des MAPK; PDGFRA; GLUT-3 (exprimé à partir du gène SLC2A3); COX-2 (exprimée à partir du gène PTGS2); EP4 (exprimée à partir du gène PTGER4); PLAUR et les gènes IER3, CD44 et IL6ST qui seront traduits en protéines membranaires. Neuregulin 1, codée par le gène NRG1, est la seconde protéine extracellulaire la plus active vers les protéines membranaires différentes. L'analyse des résultats met en évidence 840 interactions entre une protéine extracellulaire et une protéine nucléaire en incluant une protéine membranaire et une protéine cytoplasmique. Les protéines membranaires recevant des informations du plus grand nombre de protéines extracellulaires sont EGFR et FAS. C'est également EGFR, une des voies de signalisation les plus importantes de la régulation de la croissance, la survie, la prolifération et la différenciation cellulaire, qui transmet le plus d'informations aux protéines cytoplasmiques. FAS est capable de réguler l'apoptose et la prolifération en fonction du taux de fixation de son ligand.A l'aide d'un screening par la technique des microarrays de l'expression des gènes réalisé sur des échantillons témoins et stimulés, nous avons : - vérifié la cohérence des résultats avec les études historiques;- mis en évidence les processus biologiques responsables de la réponse cellulaire observée;- isolé une liste de gènes "marqueurs potentiels" impliqués spécifiquement dans ces mécanismes:- vérifié l'hypothèse que la stimulation ELF accélère dans le temps l'apparition de phénomènes qui seraient apparus naturellement mais avec une latence plus longue.Les observations faites dans le cadre de cette étude ont mis en évidence un nombre important d'informations. Plusieurs d'entre elles nécessitent des recherches complémentaires afin de préciser et de confirmer les résultats. Il serait intéressant : - de comparer et de grouper les résultats de la littérature montrant des effets similaires même si la stimulation ou le modèle de culture sont différents;- de développer les techniques de microdosimétrie afin de connaître avec précision la stimulation reçue par la cellule;- de développer l'étude des signaux afin de découvrir la composante active qui déclenche la réaction de la cellule;- de mettre en place un protocole étudiant la voie métabolique Wnt sur des cellules sanguines en incluant un dosage de la β-caténine pour étudier l'effet de la stimulation sur la leucémie infantile. Il faudra vérifier que les gènes exprimés dans nos résultats soient finalement traduits en protéines actives afin de confirmer leur rôle comme marqueurs de la stimulation ELF.