Résumé : Les tumeurs gastro-intestinales stromales (Gastro-Intestinal Stromal Tumours - GIST en Anglais) sont les sarcomes les plus fréquents du tube digestif. Sur base de leur profil d'expression génique et de similitudes morphologiques, il a été établi que les GIST dérivent des cellules interstitielles de Cajal (Interstitial Cells of Cajal - ICC en Anglais) ou d'un précurseur commun. Le développement et le maintient des ICC sont dépendant de voies de signalisation du récepteur tyrosine kinase KIT. Des mutations oncogéniques de KIT, conduisant indépendamment du ligand à l'activation des voies de signalisation en aval, sont présentes dans environ 85% des GIST. Depuis une dizaine d'années, des molécules de synthèse qui inhibent la phosphorylation -et donc l'activation - de KIT ont été introduites avec succès dans le traitement clinique des GIST. Cependant des résistances, souvent causées par des mutations secondaires, apparaissent fréquemment et environ 50% des patients traités rechutent dans les 2 ans. Le développement de nouvelles stratégies diagnostiques et thérapeutiques pour les GIST demeure donc essentiel. Ces dernières années, de nouveaux marqueurs diagnostiques ou cibles thérapeutiques potentielles ont été rapportés dans la littérature (p.ex. Discovered on GIST-1 (DOG1, anoctamin 1), Protein kinase C theta (PKC theta), Carbonic anhydrase II (CAII)) . Il faut relever que tous ces gènes sont aussi exprimés par les ICC KIT+ du tube digestif normal et que leur présence dans les GIST reflète donc vraissemblablement essentiellement leur parenté avec les ICC.

Dans la présente étude, nous nous sommes attachés à identifier de nouveaux marqueurs diagnostiques ou cibles thérapeutiques potentielles exprimés par les GIST mais absent des ICC KIT+ normales.

Pour ce faire, nous avons comparé le profile d'expression géniques de l'antre gastrique de souris porteuses de la mutation oncogénique Kit K641E et de souris contrôles (wild type WT en Anglais) par la technique de cDNA microarray. Les différences d'expression génique ont été ensuite confirmées par réactions de PCR quantitative (qPCR) en temps réel et l'immunoréactivité (-ir) pour les candidats les plus prometteurs a été localisée par immunofluorescence (IF) dans la muscularis propria du tube digestif, avec une attention spéciale pour les cellules KIT+.

Plusieurs gènes identifiés appartenaient tant au profil d'expression génique des GIST qu'au profil d'expression des ICC Kit+ de l'intestin grêle murin, validant ainsi la pertinence du modèle murin KitK641E pour l'approche choisie (Chapitre 3). D'autre part, trois gènes identifiés (Neurotensin receptor 1 (Ntsr1), Trophoblast glycoprotein (Tpbg/5T) et Sprouty homolog 4 (Spry4)) étaient quant à eux présents dans la couche hypertrophié de cellules Kit+ de l'antre des souris KitK641E mais absentes des ICC Kit+ chez les souris WT (Chapitres 3, 4, 5). Ces gènes représentant donc de nouveaux candidats potentiels comme marqueurs spécifiques et/ou comme cibles thérapeutiques dans les GIST, nous avons, dans la seconde partie de notre travail, approfondi l'étude de leur expression et de leur régulation en utilisant des modèles cellulaires et tissulaires murins, ainsi que du matériel anatomopathologique de GIST humains.

Dans le tube digestif normal, NTSR1 et TPBG/5T4 ir ont été identifiés dans les neurones myentériques mais pas dans les ICCKIT+. Deux "tissue arrays" indépendants, totalisants 97 spécimens humains de GIST, ont révélés la présence de NTSR1-ir dans tous les GIST, en ce compris les cas négatifs pour KIT, tandis que TPBG/5T4-ir était présente dans 36/49 GIST. Un fort immunomarquage pour TPBG/5T4 était statistiquement associée aux tumeurs malignes et de haut risque (Chapitre 5; Annexe 1).

L'expression différentielle de membres de la famille des "Sprouty homologues" (Spry) dans l'antre des souris KitK641E a aussi été identifiée. Spry4-ir n'était pas détectable dans les ICC KIT+ des souris WT alors que Spry4-ir était présente dans la couche hyperplasique des cellules Kit+ chez les souris KitK641E. A l'opposé, l'ARN messager de Spry2 présentait un niveau d'expression similaire et Spry2-ir était détectée dans les cellules musculaires lisses - mais pas dans les cellules Kit+ - dans tous les génotypes (Chapitre 3). Pour sa part, l'expression de Spry1 apparaissait réprimée par le mutant oncogénique KitK641E, tant in vivo qu'in vitro, conduisant à la dérégulation de la boucle de rétrocontrôle négatif de la voie Ras/Erk (Chapitre 4).

Dans la dernière partie de cette thèse, nous avons étudié l'expression Endoglin (ENG) - aussi connues sous le nom de CD105 – dans le modèle murin de GIST KitK641E, dans les GIST humains et dans le modèle cellulaire murin Ba/F3 in vitro. ENG est une glycoprotéine transmembraire et un composant auxiliaire du complexe du récepteur au TGF-. ENG est exprimé de manière prépondérante au niveau de l'endothélium vasculaire et des cellules hématopoïétiques. De manière originale, nous avons localisé Eng-ir dans les ICC Kit+ dans l'antre gastrique murin, une observation en accord avec l'expression déjà publiée de l'ARN messager de Eng dans les ICC Kit+ isolées de l'intestin grêle murin. Chez les souris KitK641E, the l'hyperplasie des cellules Kit+ rendait Eng-ir encore plus évidente. 26/49 cas de GIST humains étaient positifs pour ENG-ir. Un fort marquage ENG-ir était associé aux tumeurs malignes ou de haut risque, alors que les tumeurs négatives pour ENG-ir étaient principalement de type épithélioïde ou présentaient une mutation du récepteur alpha au PDGF. Dans le modèle cellulaire Ba/F3, la surexpression de l'ARN messager d'Eng par les mutants oncogéniques de KIT s'est révélée - de manière fort surprenante - être indépendante de l'activation de Kit et elle semblerait plutôt faire intervenir les mécanismes de méthylation de l'ADN (Chapitre 6).

En conclusion, nous avons caractérisé de manière originale trois gènes, NTSR1, TPBG/5T4 et SPRY4 qui offrent chacun des perspectives prometteuses dans les GIST, en particulier NTSR1 qui est exprimé dans les GIST indistinctement du status de mutations oncogéniques. L'utilisation de ligands de NTSR1 pour l'imagerie médicale ou pour des interventions thérapeutiques ciblées ayant déjà été rapportée dans la littérature pour d'autres types de tumeurs, cette découverte ouvre à court terme la voie à des études (pré)cliniques similaires dans les GITS.

Notre étude a aussi attiré de manière originale l'attention sur l'expression d’ENG dans les ICC KIT+ et les GIST. ENG étant déjà considérée actuellement comme une cible thérapeutique potentielle pour le traitement de certains cancers, l'expression d'ENG et sa régulation appellent certainement des études complémentaires dans les GIST.