Résumé : Malgré l’avancée considérable des connaissances sur le génome humain, de nombreuses maladies génétiques restent mal comprises car nous ignorons encore quel gène porte la mutation responsable d’une pathologie spécifique. Notre travail s’intègre dans le cadre de l’étude des maladies génétiques héréditaires monogéniques récessives, maladies rares mais qui ensemble touchent près d’1% de la population globale.

Les maladies récessives sont des maladies génétiques dont le phénotype malade ne se déclare que lorsque les deux allèles d’un gène sont mutés, hérités chacun d’un parent porteur. L’approche que nous utilisons pour localiser le gène causal dans le génome est l’analyse de liaison génétique. Les familles consanguines sont le profil idéal pour ce type d’étude car l’hypothèse peut être faite que les enfants atteints ont hérité deux fois de la même mutation, chaque allèle malade provenant d’un parent porteur et hérité d’un ancêtre commun relativement proche Dans cette optique, nous établissons une cartographie d’homozygotie (homozygosity mapping) du génome des patients, c à d que nous recherchons à travers le génome complet des zones d’homozygotie indiquant une identité par descente à partir d’un ancêtre commun (1) en à testant systématiquement un grand nombre de marqueurs génomiques polymorphes (microsatellites d’ADN et SNPs) répartis sur tous les chromosomes dans l’ADN extrait de tous les membres de la famille, atteints et non atteints. Ensuite nous inspectons la région homozygote à la recherche des meilleures gènes candidats, que nous séquençons jusqu’à trouver une mutation dont le rôle causal de la pathologie soit convaincant.

Nous avons étudié une famille constituée de 2 boucles de consanguinité avec plusieurs enfants atteints d’épilepsie myoclonique progressive (PME).

Nous avons criblé le génome entier des patients au moyen d’un kit permettant l’analyse de 382 microsatellites et avons confronté ces résultats avec ceux d’une analyse sur puce de 10.000 SNPs. Cela nous a permis de mettre en évidence un nouveau locus de PME s’étalant sur une dizaine de cM sur la région centromérique du chromosome 7. La valeur maximale du LOD score que nous avons calculé atteint 4.0 rendant ce locus significatif. Dans cet intervalle, contenant environ 85 gènes annotés, nous avons séquencé le gène KCTD7 car il s’agit de l’acronyme pour K+ Channel Tetramerization Domain 7, spéculant sur une interaction potentielle avec un canal potassique. Ce séquençage a révélé une mutation non sens homozygote chez les atteints, hétérozygotes chez les parents, et totalement absente dans une série de 100 contrôles. Cette mutation, sur l’exon 2 de KCTD7, substitue une arginine par un codon stop, tronquant deux tiers de la protéine (289aa total). L’ensemble de ces résultats ont été repris dans une première publication au journal Annals of Neurology en 2007 (2).

Au début de ce travail, le gène KCTD7 était une simple annotation génomique. Son ADNc avait été cloné dans un effort systématique à haut débit et des ESTs (expressed sequence tag) en avaient été caractérisés. La famille des protéines KCTDs sont de petites protéines solubles caractérisées par un domaine d’interaction protéine-protéine appelé BTB/POZ. Ces protéines sont impliquées dans une grande variété de processus biologiques. Certaines sont des adaptateurs spécifiques du complexe multimèrique E3 Ubiquitine Ligase (2), d’autres sont impliquées dans l’assemblage des récepteurs GABAb (3), d’autres encore sont des protéines nucléaires, stimulant l’activité polymérase de l’ADN polδ2 (4).

Nous avons montré, en utilisant la technique du Northern Blot, que l’ARNm du gène KCTD7 était exprimé de manière ubiquitaire (cerveau, cœur, foie, poumon, intestin, colon, reins, rate, yeux, muscle). Ceci a été confirmé par PCR après transcription inverse à partir d’ARNs provenant des mêmes tissus chez la souris adulte. Nous avons également montré que ce gène était déjà exprimé durant la vie fœtale par PCR après transcription inverse à partir d’embryon de souris (E6.5 à E14.5).

Nos Western Blots ne nous ayant pas permis d’observer la protéine endogène dans les extraits tissulaires totaux, nous avons pensé que la protéine pouvait être rapidement dégradée. Nous avons donc mesuré la demi-vie de la protéine KCTD7 recombinante en cellules COS-7 traitées pour différents temps par la cyclohéximide comme inhibiteur de la synthèse protéique. Cette demi-vie a été évaluée à 6h, ce qui indique que KCTD7 n’est pas une protéine hyper-labile.

Puisque nous avions l’hypothèse que KCTD7 puisse interagir avec les canaux ioniques membranaire, nous avons cherché à comprendre sa distribution intracellulaire. Ainsi, nous avons déterminé par immuno-fluorescence que la protéine recombinant KCTD7, marquée par les tags GFP, HIS ou HA, avait une distribution essentiellement périnucléaire en cellules COS-7. Lors des immuno-détections, nous avons utilisé soit l’anticorps contre KCTD7, soit l’anticorps contre le tag, afin de renforcer la validité du marquage. Un signal à la membrane plasmique n’ayant pas été détecté, nous avons postulé que KCTD7 n’interagit sans doute pas directement à cette membrane, que ce soit avec des canaux ioniques membranaires ou des récepteurs de neurotransmetteurs (GABAb). Un modèle de régulateur direct de canaux potassiques associés au réticulum endoplasmique a déjà été proposé pour KCNRG, un membre des protéines KCTDs capable de réguler négativement l’activité des canaux Kv1.1 et Kv1.4 par un contrôle de leur expression à la membrane grâce à leur rétention dans le réticulum endoplasmique (6).

A l’instar d’autres protéines de la famille des KCTDs, nous avons montré, par des expériences de co-immunoprécipitation, que KCTD7 était capable de former des homodimères, très probablement grâce à son module d’interaction BTB/POZ comme cela à été montré pour d’autres protéines de la même famille (7). Nous avons également montré par co-immunoprécipitation que KCTD7 interagi avec la Cullin-3 alors qu’il ne lie pas la Cullin-1. Cette protéine fait partie d’un complexe protéique impliqué dans l’ubiquitination de certains substrats. Nous avons montré que KCTD7 n’est pas sujet à l’ubiquitination en cellules COS-7 co-transfectées par KCTD7 et l’ubiquitine-flag, ce qui n’exclu pas qu’il puisse l’être dans un autre système ou d’autres conditions expérimentales. L’ubiquitination, quand elle ne conduit pas son substrat à la dégradation par le protéasome, est un processus qui permet le contrôle de l’expression de nombreuses protéines, dont certains canaux ioniques membranaires (KCNQ2/3 et KNCQ3/5 (8), Kv1.3 (9), Kv1.5 (10) et KCNH2 (11)) et certaines enzymes métaboliques défectueuses dans certaines PME (dont Laforine et Maline (12), Cystatine B (13), β-hexosaminidase (14)). KCTD7 pourrait donc cibler la Cullin-3 vers son substrat et sans être ubiquitiné lui-même.

Nous avons étudié plus en détail l’expression de KCTD7 (ARN et protéine) dans le cerveau de souris adulte. Nous avons déterminé à la fois par des expériences d’hybridation in situ (ARN) et d’immunohistochimie (protéine) sur des coupes coronales de cerveau de souris adultes CD1 que KCTD7 semble être spécifiquement localisé dans trois régions distinctes : la couche de cellules mitrales des bulbes olfactifs, le gyrus denté et les régions CA1 et CA3 de l’hippocampe, et enfin la couche de cellules de Purkinje du cervelet. Il apparait que ces zones sont atteintes dans un modèle murin de la maladie d’Unverricht-Lundborg (15), la forme la plus fréquente d’épilepsie myoclonique progressive et très proche du phénotype de nos patients.

Enfin, nous avons montré en collaboration avec le laboratoire du professeur Schiffmann par des mesures électrophysiologiques (Patch Clamp en cellule entière) que KCTD7 diminue le potentiel de repos (accroît la polarisation) de la membrane cellulaire de neurones corticaux embryonnaires de souris en cultures primaires, diminuant l’excitabilité neuronale en augmentant la conductance de la membrane plasmique. Ces résultats sont compatibles avec l’idée qu’une perte de fonction de la protéine entraîne une augmentation de l’excitabilité neuronale qui est caractéristique de l’épilepsie. Ces données fonctionnelles sur KCTD7 ont fait l’objet d’un manuscrit actuellement en cours de soumission au journal Molecular and Cellular Neuroscience.

Les données que nous avons récoltées sur KCTD7 ont précisé un mécanisme probable d’action de la protéine. Malgré les limitations de nos modèles expérimentaux, nous postulons que le défaut de KCTD7 cause l’épilepsie en modifiant la conductance potassique et par là, le potentiel de repos et l’excitabilité de la membrane plasmique des neurones, peut-être par ubiquitination, via la Culline-3, d’un canal potassique. À notre connaissance, il s’agirait de la première PME dont le défaut primaire serait au niveau du potentiel membranaire. Cette hypothèse cadre bien avec l’observation clinique que les patients les plus atteints étaient ceux dont l’épilepsie était la moins bien contrôlée par le traitement, suggérant une dégénérescence secondaire excito-toxique.

La suite logique de notre travail serait la définition plus précise de l’expression sub-cellulaire de KCTD7 en microscopie confocale à fluorescence, de son expression spatiale et temporelle chez la souris et si possible chez l’homme, l’étude de l’ubiquitination de sous-unités de canaux potassiques, et le développement d’un modèle animal, poisson zèbre ou souris, afin, entre autres, d’y tester l’hypothèse que la sévérité de l’hyperexcitabilité neuronale elle-même aggrave le phénotype.