Résumé : L’objectif de mon mémoire était d’étudier les critères contemporains de la validité en histoire à partir de la pensée, de l’oeuvre et de l’écriture d’Arlette Farge.Dans une première partie, j’ai analysé les conséquences d’évolutions de la discipline historique, survenues à partir des années 1970, sur la légitimité scientifique de l’histoire dans son rapport à l’espace public. Dans la lignée des travaux d’Hayden White, les procédés d’écriture qui, au-delà de la seule critique des sources, participent de l’élaboration et de la transmission de l’objet historique ont été élevésau rang de champ d’étude. Le renouveau de la réflexion sur la nature complexe de l’épistémologie de l’histoire, en lien avec l’affirmation d’une diversité de points de vue sur les événements historiques (gender studies, postcoloniale studies, histoire orale, témoignages…) tendent à situer la parole de l’historique dans un rapport de force où la méthode classique de l’historien est perçue comme un critère de validité parmid’autres (ce que j’ai essayé de montrer avec une analyse de l’ « affaire » Olivier Pétré-Grenouilleau). Parce qu’elle se concentre sur des aspects qui sont généralement considérés comme à la marge de l’histoire (notamment le rapport sensible que permettent les archives à la réalité passée) tout en revendiquant la rigueur scientifique de sa démarche, Farge permet d’aborder sous un angle originalla question de la validité au sein de sa discipline.Ma seconde partie était centrée sur le parcours, la réflexion théorique et le rapport à l’histoire de Farge. Je me suis en particulier intéressé à une divergence entre Farge et Michel Foucault qui s’est manifestée lorsqu’ils travaillaient à un ouvrage commun Le désordre des familles. S’ils partageaient tous deux la conviction que les archives, en donnant accès à la réalité brute, permettaient de pendre à revers certains récitshistoriques sur le XVIII° siècle, ils ne s’accordaient pas sur la manière dont il convenait de livrer les archives au lecteur. Foucault souhaitait les publier sans commentaires, quand Farge était persuadée qu’être fidèle la dimension esthétique des archives impliquait un travail rigoureux d’écriture. La suite de l’oeuvre de Farge (dans des ouvrages comme La vie fragile, Dire et mal dire ou Le cours ordinaire deschoses) permet un regard original sur les problématiques soulevées par le courant de l’histoire orale (le témoignage peut-il être une preuve ? Quelle articulation entre parole singulière et récit représentatif ? Quel rôle social de l’historien entre histoire et mémoire ?).Dans ma dernière partie, j’ai analysé l’écriture de Farge et réfléchi à la possibilité d’évaluer la validité historique de ses textes. En étudiant l’ethos, le logos et le pathos (les trois preuves de la rhétorique selon Aristote) de l’historienne dans La vie fragile, j’ai pu identifier le paradoxe suivant : alors que la réflexion théorique sur les critères de validité des écrits historiques accorde une autorité presque exclusive aux preuves extratechniques (sources issues de la réalité extratextuelle), le recours aux preuves techniques (relevant de la technique de discours) semble essentiel pour la production et la transmission des récits historiques. Si on s’en tient à ce constat, il y a un risque de classer le travail de l’historien parmi les récits au sens large. Cela est problématique au regard de la nécessité pour les sociétés de porter un regard fiableet critique sur le passé. Enrichir les critères de validité de la discipline historique d’une conception rhétorique de la preuve et des genres peut offrir la possibilité de réfléchir avec de nouveaux outils à l’articulation entre les exigences de l’histoire académique et le rôle social de l’histoire.