Article révisé par les pairs
Résumé : L’arrêt du 27février 2007 a souvent été critiqué parce que la Cour se serait cantonnée à une conception exagérément stricte de l’attribution d’actes de génocide à un État. À l’analyse, on peut cependant se demander si ce n’est pas la souplesse, voire l’audace, qui caractérise le mieux le raisonnement de la Cour, en tout cas lorsqu’elle a traité de la notion de génocide d’État. Certes, sur un plan général, l’arrêt se caractérise par des affirmations de principe particulièrement rigoureuses. En droit de la responsabilité internationale, les mécanismes informels d’attribution que constituent les théories de l’organe de fait et du contrôle effectif sur des opérations menées par des groupes privés, doivent être interprétés très strictement. Cette impression de rigueur s’estompe néanmoins lorsqu’on se penche sur la manière dont la Cour a appliqué ces principes généraux aux circonstances de l’espèce. En reprenant telle quelle la qualification de génocide de Srebrenica opérée par le TPIY, et en souhaitant manifestement éviter de contredire ce dernier sur le plan du droit pénal, la Cour brouille les frontières préalablement dressées entre le nettoyage ethnique et le crime de génocide, surtout au regard de la conception très large de la «partie substantielle» du groupe protégé qui ressort de l’arrêt. Par ailleurs, le raisonnement tenu sur le génocide d’État repose sur une interprétation extensive de la convention de 1948 qui, si on suit le raisonnement de la Cour, pourrait être violée alors même qu’un État a pris toutes les mesures de prévention et de répression énoncées, sans toutefois réussir à empêcher l’un de ses agent de commettre le crime. Plus généralement, le génocide apparaît comme un crime dépolitisé, l’existence d’un génocide d’État ne dépendant pas d’une intention, et donc d’un plan, de cet État – ou d’ailleurs d’une quelconque entité politique – mais plutôt d’une intention génocidaire qui, si on pousse la logique, pourrait être celle d’un seul individu, même s’il se fait qu’il s’agit en l’occurrence d’un agent de l’État. Pareille conception pose le problème des risques de confusion entre droit pénal, à portée essentiellement individuelle, et droit international public général, à vocation essentiellement interétatique. Au-delà du dialogue plus ou moins cordial que révèle cet arrêt entre la CIJ et le TPIY, c’est ce problème de pénalisation du droit international général qui apparaît, plus fondamentalement, comme le principal enjeu soulevé par l’affaire.