Résumé : Ce mémoire compte trois parties. Dans une première partie, intitulée Pour un droit ancillaire à la sociologie ?, on commencera par rappeler le contexte de méfiance vis-à-vis du droit dans lequel est née et s’est développée la sociologie. On notera cependant que depuis plusieurs années, divers sociologues ont mené une réflexion, sinon en rupture avec ce modèle initial, à tout le moins davantage dialectique et érigent le droit en tant que moteur et révélateur privilégiés des mutations sociales. Ce faisant, ces chercheurs ont démontré, notamment à l’attention des juristes, la nécessité d’adopter une lecture interdisciplinaire de la régulation juridique et dès lors un point de vue externe modéré vis-à-vis du droit. Autrement dit, une compréhension optimale de la société et de sa normativité impose des allers et retours fréquents entre un cadre théorique sociologique de référence et les manifestations juridiques, héritées de l’examen du droit positif, que ce cadre implique. Cette toile de fond méthodologique sous-tend la deuxième partie de ce travail, intitulée Le droit belge permet-il de comprendre et de réguler une société du risque ?, qui proposera une synthèse de l’ouvrage d’Ulrich Beck, publié en 1986, mais traduit en français seulement en 2001 et réédité en 2003 : La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité. Après une présentation rapide d’Ulrich Beck, on constatera sans surprise que le droit demeure le parent pauvre de son analyse dans la mesure où les allusions qu’il réserve à la régulation juridique sont non seulement rares mais également sommaires : elles ne reposent en tout cas pas sur un examen rigoureux du droit positif. Or, c’est précisément cette lacune qui risque bien de laisser sa pensée hermétique à la majorité des juristes, que la deuxième partie de ce travail entend combler. Il s’agira dès lors de reprendre un à un les axes paradigmatiques de la société du risque et de les illustrer à l’aide d’une description sélective de normes récemment adoptées, ou en voie de l’être, par le pouvoir politique belge. Le premier axe de la société du risque, à savoir l’idée selon laquelle nos sociétés ont évolué d’une logique de répartition des richesses vers une logique de répartition des risques, sera illustré d’une part, par l’examen des conséquences juridiques des crises alimentaires survenues tout au long de l’année 1999, et plus particulièrement de la loi du 4 février 2000 relative à la création de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire, d’autre part, par la multiplicité de mécanismes inspirés par une justice pénale dite actuarielle qui s’organise autour de la gestion de groupes à risques. Ensuite, selon Ulrich Beck, l’émergence d’une société du risque est indissociable d’un processus d’individualisation qui s’opère au prix d’un déclin des traditions caractéristiques de la société industrielle. Reprenant les champs privilégiés de l’analyse d’Ulrich Beck, à savoir l’évolution du marché du travail et l’éclatement des modèles familiaux classiques, on illustrera ce processus par l’examen, d’une part, de la réforme, opérée en juillet 2004, de l’allocation de chômage en Belgique, d’autre part par celui des lois du 13 février 2003 et du 18 mai 2006 qui ont respectivement prévu le mariage entre personnes du même sexe et l’adoption au profit de ces mêmes personnes. Enfin, l’idée d’une société du risque constitue, aux yeux d’Ulrich Beck, l’évolution inéluctable d’une première modernité vers une modernité réflexive, autrement dit une modernité issue d’une radicalisation de la modernisation et qui fait de la société le sujet de sa propre réflexion. Ce passage bouleverse considérablement les rapports entretenus jadis entre science et politique et implique le développement d’espaces subpolitiques caractéristiques de cette mutation. Cette évolution trouvera son illustration dans le projet de loi visant à mettre un terme au contentieux relatif au survol aérien de la région de Bruxelles capitale. En effet, à maints égards, ce texte, qui fait suite à un conflit juridico-scientifique révélateur d’une redistribution des rôles parmi les savoirs experts et profanes, annonce l’émergence d’un droit réflexif qui met l’accent davantage sur des procédures permettant la prise répétée de décisions que sur des règles substantielles et intangibles. Ce panorama d’une théorie particulièrement féconde en sciences sociales et la démonstration empirique de sa pertinence dans le champ de la régulation juridique, pourraient laisser croire à une bienveillance excessive à l’égard des travaux d’Ulrich Beck. Le risque… est, en effet, grand de laisser s’assoupir une vigilance critique pourtant fondamentale dans toute démarche scientifique. C’est pourquoi on conclura ce travail par un relevé synthétique des principales oppositions émises à l’encontre du sociologue allemand ainsi placé au centre des critiques. On examinera comment d’aucuns opposent au modèle de la modernité réflexive celui de la post-modernité, alors que d’autres pointent l’abandon un peu rapide de l’analyse marxiste et la négation des rapports fondamentaux de domination dans le modèle de la société du risque. Enfin, on verra que ce dernier, historiquement situé et socialement déterminé, peut également prêter le flanc à une critique anthropologique qui lui dénie sa vocation universelle. Pour chacune de ces critiques, l’on résumera les contre arguments qu’Ulrich Beck n’a pas manqué d’adresser à ses détracteurs.