Résumé : I) Définition du problèmeL’infection urinaire (IU) est une maladie infectieuse fréquente chez l’enfant, nécessitant un diagnostic rapide et une antibiothérapie efficace parce qu’elle peut être associée à un risque avéré de complications graves. Une étude préliminaire en 2010-2012 chez l’enfant Vietnamien atteint d’une IU fébrile a mis en évidence les difficultés liées au diagnostic et à sa prise en charge : l’absence de dépistage de l’IU chez l’enfant fébrile sans foyer clinique, l’émergence de bactéries Gram-négatifs multirésistantes et le traitement antibiotique empirique inapproprié. Dans le cadre de la coopération Belgo-Vietnamienne, nous avons dès lors réalisé trois études prospectives en Belgique concernant le diagnostic et le traitement des IU chez l’enfant. A partir des résultats de ces études, nous voudrions voir quels sont les attitudes thérapeutiques potentiellement transposables en termes coût-bénéfice chez l’enfant Vietnamien atteint d’une IU fébrile.II) ObjectifsA partir d’une étude préliminaire sur les difficultés liées à la prise en charge de l’enfant Vietnamien fébrile avec IU dans un hôpital tertiaire d’Ho Chi Minh Ville (HCMV) et l’analyse du taux de résistance des germes uropathogènes rencontrés, nous avons mené à l’hôpital des enfants Reine Fabiola (HUDERF) en Belgique trois études cliniques impossibles à réaliser au Vietnam à cause des difficultés logistiques.- La première a été de comparer la performance de deux méthodes de dépistage de l’IU : la tigette et l’examen cytologique de l’urine par cytométrie de flux chez les enfants fébriles se présentant au service des urgences.- La deuxième a évalué le changement du profil de la résistance en 10 ans aux antibiotiques des germes uropathogènes chez les enfants Belges présentant une IU fébrile.- La troisième a testé l’efficacité et la faisabilité d’un traitement antibiotique par voie orale des IU fébriles chez l’enfant.III) MéthodologieL’étude préliminaire au Vietnam est réalisée à l’hôpital pédiatrique Nhi dong 2, HCMV de Juillet 2010 à Novembre 2012 chez 216 enfants hospitalisés pour une IU fébrile.Les trois études belges ont concerné deux cohortes d’enfants traités pour une IU fébrile à l’HUDERF pendant deux périodes : 2006-2008 et 2013-2015 :- La première cohorte comprend 1106 enfants fébriles (1246 épisodes) dépistés pour une IU par tigette et cytomètre au service des urgences de l’HUDERF de Juillet 2006 à Juillet 2008. Parmi ces enfants, 198 enfants (221 épisodes) ont été diagnostiqués avec une IU fébrile. - La deuxième cohorte comprend 196 enfants (208 épisodes) traités pour IU fébrile à l’HUDERF d’Octobre 2013 à Octobre 2015. L’évolution des données cliniques et biologiques des enfants traités oralement a été évaluée.IV) Résultatsa) Étude préliminaire au VietnamParmi les 216 enfants fébriles (âge médian : 11 mois, extrêmes : 3 mois–15 ans) traités pour suspicion d’IU à l’hôpital Nhi Dong 2, HCMV, une IU a été prouvée par culture urinaire chez 143 enfants (66%). L’Escherichia coli (E. coli) était responsable de 80% des IU, avec un taux de résistance de 91% à l’ampicilline et de 74% au co-trimoxazole. Des entérobactéries productrices de β lactamases à spectre étendu (BLSE) ont été isolées dans 52% des cultures. En se basant sur l’antibiogramme, le traitement initial par ceftriaxone était inapproprié dans 63% des cas.b) Étude sur la performance de deux méthodes de dépistage de l’IU en BelgiqueLa prévalence de l’IU chez l’enfant fébrile à l’HUDERF en 2006-2008 était de 17,7% (IC 95%: 15,6 à 19,8%). La sensibilté de la tigette urinaire (contenant les leucocytes estérases et/ou nitrites) était de 93% et la spécificité de 90%. La présence d’une leucocyturie ≥ 35 globule blancs/µl détectée par cytométrie de flux avait une meilleure sensibilité (99,5% ; IC 95% : 99-100%) et une spécificité de 80,6% (IC 95%: 78-83%). La surface sous la courbe ROC de la leucocyturie détectée par cytomètre (0,98 ; IC 95% : 0,98-0,99) était significativement plus élevée que celle de la positivité de la tigette aux leucocytes estérases et/ou nitrites (0,91; IC 95%: 0,89 à 0,93) (P <0,001). La performance diagnostique du cytomètre est supérieure à celle de la tigette mais son coût est plus élevé. En terme de coût-bénéfice, la tigette urinaire reste un excellent test de dépistage de l’IU.c) Étude sur l’évolution de la résistance aux antibiotiques des germes uropathogènes en BelgiqueDurant la première période (2006-2008) et la deuxième période (2013-2015), 394 enfants ont été traités pour une IU fébrile à l’HUDERF. L’E. coli était isolé dans 87% des cas. La résistance d’E. coli à l’ampicilline et au co-trimoxazole était élevée lors des deux périodes : 63% contre 59 % et 40 % contre 33% (p=ns), respectivement. La fréquence d’E. coli productrice BLSE est restée basse lors des deux périodes (3% et 4%, respectivement). Le profil de résistance d’E. coli chez les enfants Belges est resté stable durant cette période de 10 ans.d) Étude sur l’efficacité et la faisabilité d’un traitement antibiotique par voie orale des IU fébriles chez l’enfant en BelgiqueChez 196 enfants diagnostiqués d’IU fébrile en 2013-2015 à l’HUDERF, 82 enfants (42%) ont été traités par céfuroxime 50 mg/kg/jour par voie orale en ambulatoire. Leur âge médian était de 8 mois (EIQ : 3-33) et 65 patients (79%) étaient des filles. Les bactéries Gram-négatifs ont été isolées chez 81 enfants (99%) et deux bactéries (2%) étaient résistante au céfuroxime. Parmi les 82 enfants traités par voie orale, 51 enfants (62%; IC 95%: 52 à 73%) ont eu une cure complète de 14 jours de traitement, 14 enfants (17%; IC 95%: 9 à 25%) ne sont pas revenus aux consultations de suivi (3 patients à jour 2 et 11 patients à jour 14) et 17 enfants (21%, IC 95%: 12-29%) ont dû être hospitalisés pour un traitement par voie intraveineuse pour les raisons suivantes : vomissements chez 9 patients, persistance de la fièvre chez 5 patients, bactériémie chez 1 patient et bactérie multirésistante chez 2 patients. V) ConclusionLa tigette urinaire reste un bon test de dépistage des IU chez l’enfant fébrile. Ce test pourrait être utilisé largement au Vietnam en terme de coût-bénéfice. L’émergence des entérobactéries multirésistantes responsables d’IU chez l’enfant Vietnamien nécessite un changement de protocole du traitement antibiotique empirique et le contrôle de la consommation des antibiotiques. Le traitement per os semble difficilement envisageable au Vietnam au vu des risques potentiels d’intolérance et de perte de suivi observés dans l’étude belge.