Résumé : Dans mon mémoire, j’ai étudié la construction des identités dans l’apprentissage de l’informatique effectué par des femmes, cela au sein d’un centre de formation bruxellois non mixte proposant des formations dans divers domaines de l’informatique à des femmes demandeuses d’emploi. Mon objectif était d’interroger la coproduction d’une identité de genre et d’une identité construite dans la pratique, dans le contexte d’une technique pratiquée davantage par les hommes. Les références bibliographiques que j’ai mobilisées pour mon travail sont essentiellement celles du groupe Matière à Penser, questionnant les « savoir-être » émergeant avec les « savoir-faire », ainsi que les travaux sur l’apprentissage de Jean Lave et Etienne Wenger. Au sein de ces derniers, j’ai particulièrement mobilisé la notion de « négociation de sens » inhérente à toute pratique. Je me suis également largement référée à une littérature portant plus spécifiquement sur l’informatique, sur ses usages, et sur la sous-représentation des femmes dans les professions informatiques – notamment les travaux d’Isabelle Collet.Les résultats de ma recherche ont montré la façon dont mes interlocutrices tendaient à donner sens de manière genrée à leur pratique. Au-delà des parcours individuels propres à chacune, ma recherche m’a conduite à mettre en évidence trois caractéristiques de ces identités construites au fil de l’apprentissage : une identité technique « non technique », une identité technique « dans la limite du raisonnable » et, enfin, une perception de soi comme pratiquant l’informatique d’une façon féminine. D’abord, les femmes que j’avais rencontrées me semblaient donner sens à leur pratique d’une façon particulière : loin de s’affirmer intéressées par la technique elle-même, mes interlocutrices marquaient un intérêt pour une démarche logique, la satisfaction d’une curiosité, voire pour le contact humain procuré par la profession (le contact client, l’envie d’aider les autres). Dans cette perspective, la nouvelle formation qu’elles entreprenaient (souvent à l’issue d’une plus ou moins longue période de chômage et dans le but premier de retrouver un emploi) était comparée à un nouveau départ tel qu’aurait pu l’être le début d’une carrière de boulangère ou de styliste. Ensuite, à l’inverse de la représentation de l’informaticien absorbé dans son travail et incapable de vie sociale, les femmes que je côtoyais déclaraient avoir une attitude « dans la limite du raisonnable » face à la technique qu’elles apprenaient, mettant en évidence une frontière entre vie privée et vie professionnelle, et insistant sur leurs habitudes de sortie, quitte à défendre leur goût pour le shopping, à la façon d’un repère vers une normalité présumée. Enfin, ces personnes se considéraient pour beaucoup comme des personnes dont la pratique de l’informatique différait nécessairement de celle des hommes, supposant par ailleurs que cette spécificité serait reconnue comme un atout lors d’une postulation pour un emploi. Cette façon qu’avaient mes interlocutrices de mobiliser une vision essentialiste d’elles-mêmes m’a étonnée dans le cas d’un apprentissage qui aurait précisément pu supposer la déconstruction de stéréotypes.Si j’ai noté dans mon mémoire que ce discours pouvait être lié à la promotion faite par l’institution (dont le slogan est « l’informatique au féminin »), ce discours prolongeait les autres caractéristiques que j’observais. Dans ma conclusion, en suivant l’analyse menée par Klaus Nielsen dans ses travaux sur les boulangères, je me suis référée aux notions de « restrictive learning » et d’« expensive learning » de Klaus Holzkamp. L’apprentissage de mes interlocutrices s’apparentait à un « restrictive learning » dans le sens où elles acceptaient le discours essentialiste sur les femmes existant dans leur profession, tout en en renversant les stigmates, pour ériger leurs qualités féminines comme un avantage dans certaines tâches. J’ai également démontré à l’échelle de ma recherche que les savoir-faire n’impliquaient pas des savoir-être préalablement définis, mais dont le sens était toujours négocié en fonction des rapports sociaux et d’éléments biographiques propres aux individus.