Résumé : Depuis la crise économique, le système politique européen a évolué vers un renforcement du poids des exécutifs nationaux et européens dans le processus décisionnel de l’UE (Bickerton et al., 2015). Au travers de différents pactes, les Etats membres ont défini des objectifs socio-économiques à moyen terme (un déficit public de max. 3% du PIB), des garde-fous pour éviter les échecs (comme la surveillance multilatérale) et des méthodes pour y parvenir. Parmi celles-ci le modèle d’investissement social (IS) a pour ambition de moderniser les systèmes sociaux nationaux face aux nouveaux risques individuels (Bonoli, 2005) par la promotion de l’égalité des chances, de la formation tout au long de la vie, l’aide à la petite enfance et la jeunesse. Au-delà d’une influence sur l’orientation des politiques sociales, l’IS promeut d’une part des instruments de mise en œuvre performatifs axés sur l’évaluation, la sanction et les résultats (Le Galès, 2016). Et d’autre part, le modèle européen d’IS tend à favoriser la territorialisation des politiques sociales en définissant les régions comme lieu de mise en œuvre privilégié des politiques sociales (Ferrera, 2016). Cette triple transformation conduit à la question centrale de cette recherche : comment la contrainte européenne, définie par l’orientation et les instruments de l’IS, influence-t-elle l’élaboration et la mise en œuvre des politiques sociales au niveau infranational ? Dans une approche d’instrumentation des politiques publiques, nous définissons le Fonds social européen comme traceur de changements et nous analysons de manière systématique et longitudinale les implications sociétales et politiques de l’IS, c’est-à-dire les orientations et l’organisation sectorielles des politiques sociales infranationales, leurs instruments de mise en œuvre ainsi que les pratiques et les représentations des acteurs. Afin de répondre à cette problématique, notre recherche repose sur une étude de cas qualitative approfondie en Région wallonne, et plus particulièrement, dans les secteurs de la formation professionnelle et de l’insertion sociale. Bien qu’étant un cas extrême de fédéralisme budgétaire et politique, cette région peut être définie comme un cas similaire à de nombreuses régions en transition dans l’UE. Au travers d’une triangulation de données (documentaires, observations et entretiens), nous démontrons comment l’IS oriente les politiques sociales vers le « tout à l’entreprise », rationnalise la mise en œuvre par une approche hiérarchisée et contractualisée de l’organisation des acteurs, mobilise des instruments performatifs comme la mise en œuvre par projets, et finalement, induit des pratiques managériales et une gestion permanente de l’incertitude chez les acteurs sectoriels infranationaux. Au-delà du cas spécifique du FSE et des politiques de formation et d’insertion, cette recherche contribue à la littérature qui questionne le retour de l’Etat comme investisseur dans les politiques publiques, l’européanisation infranationale des politiques sociales et les implications politiques des transformations administratives et organisationnelles récentes.