Résumé : Le développement de l’uvéite auto-immune expérimentale (UAE) se fait en plusieurs étapes, commençant par l’activation en périphérie de lymphocytes T auxiliaires auto-réactifs spécifiques d’antigènes rétiniens, leur migration vers l’œil, où ils sont réactivés de façon antigène-spécifique et CMH II (complexe majeur d’histocompatibilité de classe II)-dépendante pour enfin induire la rupture de la barrière hémato-rétinienne (BHR), permettant le recrutement aspécifique de cellules inflammatoires responsables des dommages tissulaires. Tous ces processus représentent des cibles potentielles pour des thérapies biologiques ciblées. Dans cette perspective, notre travail a pour but d’approfondir la compréhension des mécanismes impliqués dans le recrutement de cellules inflammatoires, la présentation locale d’antigènes rétiniens et la rupture de la BHR interne lors de l’induction de l’UAE par transfert adoptif.L’expression de molécules d’adhésion par les cellules de la BHR joue un rôle central dans l’infiltration de cellules inflammatoires dans l’œil. Dans ce contexte, nous avons d’abord montré qu’à l’instar de ce que nous avions démontré pour VCAM-1, l’expression d’ICAM-1 est fortement induite dans la rétine durant l’UAE, avec une intensité et une extension corrélées à la sévérité de la maladie. Cependant, alors que VCAM-1 est uniquement inductible, une expression basale d’ICAM-1 est détectée dans la rétine naïve. Le ligand d’ICAM-1, LFA-1, est exprimé de façon ubiquitaire par les cellules immunes circulantes, contrairement au ligand de VCAM-1, VLA-4, qui n’est exprimé que par une minorité de cellules. Par ailleurs, nous avons observé une répartition tissulaire différente de ces deux molécules d’adhésion dans la rétine. En effet, si ICAM-1 prédomine dans l’épithélium pigmentaire rétinien, VCAM-1 est fortement exprimé au niveau des lésions de vasculite, à la fois sur les cellules endothéliales et gliales péri- vasculaires. Ces 2 sites correspondent respectivement à la BHR externe et interne. Ces différences majeures en termes de distribution rétinienne des molécules d’adhésion pourraient refléter des voies d’entrée distinctes pour les cellules inflammatoires lors de leur pénétration dans l’œil.Comme les lymphocytes T auto-réactifs n’induisent la maladie qu’après avoir localement reconnu leur antigène, nous nous sommes ensuite intéressés à identifier les cellules présentatrices d’antigène (CPA) potentielles exprimant du CMH II dans la rétine lors de l’UAE. Nous avons tout d’abord observé une forte induction de l’expression de molécules du CMH II dans la rétine lors de l’inflammation intraoculaire, corrélée avec la sévérité de la maladie. Celle-ci est associée avec l’induction de l’expression de molécules de co-stimulation, particulièrement sur les cellules exprimant fortement le CMH II. L’expression la plus forte de CMH II se retrouve dans la rétine interne, au niveau des vaisseaux enflammés et s’étend vers les couches externes de la rétine et l’espace sous-rétinien dans les uvéites sévères. Nous avons identifié 3 populations de CPA potentielles exprimant le CMH II dans la rétine : des cellules CD45-CD11b- non-hématopoïétiques exprimant faiblement le CMH II et des cellules CD45+CD11b+ hématopoïétiques exprimant plus fortement le CMH II, pouvant être subdivisées en cellules Ly6C+ et Ly6C-. L’analyse bio-informatique à l’aveugle du transcriptome de ces 3 populations mène à une ségrégation claire des échantillons, avec un enrichissement en marqueurs de macrophages et de microglie dans les cellules Ly6C+ et Ly6C-, respectivement. Cependant, l’expression de Ly6C ne permet pas une ségrégation absolue entre macrophages infiltrants et microglie résidente. L’analyse fonctionnelle à l’aide de DAVID (Database for Annotation, Visualization and Integrated Discovery) révèle que les 2 populations de cellules hématopoïétiques sont plus compétentes dans la présentation d’antigène associée au CMH II et l’activation des lymphocytes T que les cellules non-hématopoïétiques.Paradoxalement, nos données n’ont pas mis en évidence d’expression de CMH II par les principales cellules de la BHR que sont les cellules endothéliales et les cellules de l’épithélium pigmentaire rétinien. Cependant, il est bien établi que les cellules endothéliales rétiniennes subissent un changement majeur de phénotype lors du développement d’une UAE. Afin d’investiguer de façon globale les mécanismes sous-jacents à la rupture de la BHR interne, nous avons étudié la régulation de l’expression génique des cellules endothéliales rétiniennes lors de l’uvéite non-infectieuse. En accord avec les données de nos travaux précédents, l’analyse du transcriptome des cellules endothéliales rétiniennes n’a pas mis en évidence d’expression de CMH II lors de l’UAE. En revanche, cette approche nous a permis d’identifier 65 gènes modulés dans les cellules endothéliales rétiniennes lors du développement d’une UAE, confirmant non seulement l’implication de certaines molécules dont le rôle pathogénique est déjà connu, mais procurant également une liste de nouveaux gènes candidats et de voies fonctionnelles potentiellement associées à la rupture de la BHR lors d’une uvéite non- infectieuse.