Résumé : De nombreux agents chimiothérapeutiques sont gonadotoxiques et peuvent donc induire une insuffisance ovarienne précoce chez les jeunes patientes traitées. La protection pharmacologique de l'ovaire pendant la chimiothérapie à l'aide d'analogues de la Gonadotropin-Releasing Hormone (GnRHa) est une option intéressante de préservation de la fertilité de par son caractère non-invasif et la possibilité d’une récupération spontanée de la fonction ovarienne. Ces molécules sont des inhibiteurs bien connus de l'axe hypothalamo-hypophyso-gonadique, mais leur efficacité dans cette indication est, cependant, controversée et leurs mécanismes d'action sont mal compris. Par conséquent, nous avons investigué les mécanismes potentiels de protection ovarienne des GnRHa pendant la chimiothérapie sur modèle murin. Nous avons montré que le cyclophosphamide (Cy) induit une déplétion folliculaire aiguë et proportionnelle à la dose affectant à la fois les follicules quiescents et en croissance. Lorsqu'ils sont administrés seuls à différentes doses et sites, l'agoniste et l'antagoniste de la GnRH altèrent les cycles oestraux, mais ne bloquent ni la folliculogenèse ni la sécrétion de la Follicle-Stimulating Hormone (FSH) chez la souris. De plus, le Cy atteint les follicules primordiaux, que les souris aient été traitées avec les GnRHa ou non. Ces résultats suggèrent que les GnRHa n'inhibent pas l'axe hypophyso-gonadique aussi efficacement chez la souris que chez la femme. Par conséquent, nous avons développé de nouveaux modèles pour étudier les mécanismes potentiels de protection ovarienne des GnRHa. Afin de différencier les effets directs des GnRHa via leurs récepteurs ovariens ou indirects par inhibition de la sécrétion de gonadotrophines, l'effet de l'agent alkylant sur le développement folliculaire et la réserve ovarienne a été testé sur des follicules cultivés in vitro avec ou sans GnRHa et in vivo chez des souris déficientes en FSHb (Fshb-/-). Pour imiter la profonde inhibition de FSH observée chez la femme après traitement aux GnRHa, nous avons étudié la toxicité de la chimiothérapie chez les souris Fshb-/-. L’administration de gonadotrophines exogènes (pregnant mare serum gonadotropin, PMSG) induit une croissance folliculaire jusqu’au stade antral mais n’influence pas le nombre total de follicules au sein de l’ovaire. Le Cy induit une perte folliculaire significative dans le groupe contrôle et dans le groupe traité au PMSG. Aucune différence concernant la prolifération ni l'apoptose n'a été observée entre les groupes traités à la chimiothérapie. A ce jour, ce modèle murin représente le meilleur modèle pour étudier l'inhibition gonadotrope induite par les GnRHa observée chez la femme. Ces résultats suggèrent que la FSH n'est pas impliquée dans la protection ovarienne potentielle des GnRHa pendant la chimiothérapie. Afin d’évaluer les effets directs des GnRHa sur les follicules en croissance et quiescents, des follicules préantraux ou des ovaires de nouveau-nés (PND4) ont été cultivés avec ou sans GnRHa avant l'exposition au métabolite actif du Cy, le 4-hydroperoxycyclophosphamide (4HC). Nous avons d'abord montré que l'exposition in vitro aux GnRHa n'affectait ni la survie et le développement folliculaire, ni la maturation ovocytaire. Dans les follicules en croissance, le 4HC diminue significativement les taux de survie et de maturation; et retarde le développement folliculaire, indépendamment du traitement aux GnRHa. La chimiothérapie diminue le nombre de cellules de la granulosa par follicule tandis que la production d’adénosine monophosphate cyclique (AMPc) par million de cellules de la granulosa n'est pas modifiée, ni par le 4HC, ni par les GnRHa. La sécrétion d'oestradiol tend à être retardée dans le groupe traité à l’agoniste mais pas dans le groupe antagoniste. De même, dans les ovaires PND4, le 4HC induit une perte folliculaire importante et atteint directement les cellules de la granulosa des follicules ovariens. Aucune différence dans la distribution folliculaire, la prolifération ou l'apoptose n'a été observée entre les groupes traités avec le 4HC, peu importe la présence des GnRHa ou non. Pour conclure, en se basant sur des modèles murins robustes et originaux, notre travail remet en question l'efficacité des GnRHa pour préserver l'ovaire contre les dommages causés par la chimiothérapie que ce soit par une action directe sur l'ovaire, ou indirectement par l'absence de FSH. D'autres investigations seront nécessaires pour comprendre les mécanismes d'action potentiels des GnRHa sur l'ovaire et les voies impliquées. Des preuves expérimentales sont encore indispensables pour clore le débat sur cette option attrayante de préservation de la fertilité.