Résumé : Les chimiokines sont des petites protéines qui régulent la migration et le "homing" des cellules leucocytaires. Elles jouent également un rôle clef dans le développement de certains cancers en régulant les phénomènes de prolifération, d'angiogenèse ou encore de migration des cellules métastatiques. À ce jour, environs 40 chimiokines et plus de 19 récepteurs appartenant à la famille des récepteurs couplés aux protéines G (RCPGs) ont été répertoriés. De nombreuses études ont montré que les récepteurs liant les chimiokines pouvaient s'associer sous forme de complexes homo et hétéromériques. Les conséquences fonctionnelles associées à l'hétéromérisation sont diverses et fonction de la nature des récepteurs étudiés, du type de cellules sur lesquelles ces récepteurs sont exprimés et de l'expression relative des récepteurs. Cependant, le rôle physiologique exact de l’hétéromérisation des récepteurs aux chimiokines, et des RCPGs de manière générale, resteencore peu connu. Nous avons tenté de répondre à cette question dans ce travail de doctorat en étudiant plus particulièrement l’hétéromérisation de CXCR4 et CCR7 au cours du développement des lymphocytes B. Nous avons montré que le récepteur CXCR4 est exprimé à la surface des lymphocytes B à tous les stades de leur développement et qu’une diminution de l’expression de CXCR4s’opère lors de la transition du stade Pré-B vers les stades B immatures et matures. Cette transition s’accompagne d’une «uprégulation » du récepteur CCR7 qui est le plus fortement exprimé à la surface des lymphocytes B matures. Nous avons par ailleurs montré que la transition du stade Pré-B vers les stades B immatures et matures s’accompagne d’une forte inhibition de CXCR4, les cellules B matures étant totalement réfractaires à la migration dans un gradient de CXCL12. Cette perte totale de fonctionnalité ne pouvant pas s’expliquer par la diminution partielle de l’expression de CXCR4, nous avons testé si l’expression du récepteur CCR7 pouvait contribuer à la perte de fonction de CXCR4 observée. Dans un premier temps, nous avons comparé la capacité de CXCR4 à induire la chimiotaxie des lymphocytes B matures provenant de souris sauvages ou de souris CCR7KO déficientes pour l’expression de CCR7. Nous avons montré que l’absence de CCR7 permet de récupérer une migration significative des lymphocytes B matures dans un gradient de CXCL12. De manière intéressante, l’absence de CCR7 affecte spécifiquement la fonction de CXCR4 mais pas celle des récepteurs CXCR5 et CCR6 également exprimés à la surface des lymphocytes B matures. De plus, l’inhibition de CCR7 des lymphocytes B matures sauvages par des anticorps bloquant ne permet pas de reproduire l’effet de l’absence de CCR7. Ce résultat suggère que la signalisation du récepteur CCR7 ne serait pas impliquée. Nous avons également montré que l’absence de CCR7 s’accompagne d’un nombre plus important de lymphocytes B matures dans la moelle osseuse des souris CCR7KO, en parfait accord avec le rôle connu de CXCR4 dans la rétention des progéniteurs hématopoïétiques au sein de la moelle osseuse. Nous avonségalement montré que l’expression du récepteur humain CCR7 dans la lignée lymphocytaire Pré-B humaine Nalm-6 ou dans des cellules CHO-K1 exprimant le récepteur CXCR4 suffit à induire une perte de fonctionnalité de CXCR4. Tout comme pour les lymphocytes B maturesmurins, cette inhibition s’exerce en absence de toute stimulation de CCR7. Nous avons aussi montré que l’expression de récepteurs CCR7 mutants incapables de lier les chimiokines CCL19 et CCL21 (mutant CCR7NT) ou d’induire une signalisation (mutants CCR7D(R/A)Y et CCR7(N/A)PXXY) sont toujours capables d’induire l’inhibition de CXCR4, ce qui confirme qu’une signalisation CCR7 n’est pas nécessaire pour induire le phénomène de la régulation de CXCR4. Ce résultat montre aussi que les fonctions de signalisation et de régulation de CCR7peuvent être découplées.Nous avons également tenté d’identifier le mécanisme moléculaire associé à l’inhibition de CXCR4 par CCR7. Grâce à l’utilisation de biosenseurs BRET mesurant l’activation des protéines G, nous avons montré que l’expression de CCR7 inhibe fortement l’activation de la protéine Gαi2 connue pour jouer un rôle important dans la migration des lymphocytes. Ce résultat permet donc d’expliquer la perte de migration détectée dans les lymphocytes B coexprimant CXCR4 et CCR7. Cependant, nous avons aussi montré que l’expression de CCR7 n’empêche pas l’interaction physique de la protéine Gαi2 avec le récepteur CXCR4. Nous avons alors émis l’hypothèse que CCR7 exercerait son effetinhibiteur sur CXCR4 en interagissant physiquement avec lui et en altérant sa capacité à activer la protéine Gαi2. Nous avons montré par différentes techniques que le récepteur CCR7 interagit avec CXCR4 et que la conformation du complexe formé par CXCR4 et la protéineGαi2 est différente suivant que cette interaction a lieu au sein d’un homomère CXCR4/CXCR4 ou d’un hétéromère CXCR4/CCR7. L’ensemble de ces données suggère donc que l’hétéromérisation de CXCR4 avec CCR7 change la conformation du complexe CXCR4/Gαi2 et la capacité de CXCR4 à activer la protéine Gαi2. De manière intéressante, l’hétéromérisation de CXCR4 avec CCR7 inhibe également l’activation de la protéine Gαi1 mais pas celle de la protéine Gαi3. Ce résultat très intéressant suggère que l’hétéromérisation CXCR4/CCR7 ne serait pas simplement associée à une inhibition de la fonction de CXCR4 mais plutôt à une modulation de son profil d’activation. Cette hypothèse suggère donc que le récepteur CCR7 jouerait le rôle de modulateur allostérique endogène de CXCR4 capable de moduler l’activation de certaines voies de signalisation tout en en laissant d'autres fonctionnelles. Cependant, le manque de temps ne nous a pas permis de confirmer le maintiend’un signal dépendant de Gαi3 dans les cellules coexprimant CXCR4 et CCR7.L’ensemble de ces résultats suggèrent que le récepteur aux chimiokines CCR7 exercerait le rôle de modulateur allostérique de CXCR4 au cours du développement des lymphocytes B et que cette fonction nécessiterait l’interaction physique de CXCR4 et CCR7.À notre connaissance, ces résultats constituent la première indication que l’hétéromérisation de récepteurs aux chimiokines peut jouer un rôle dans un processus physiologique.